Don Giovanni
Théâtre du Capitole • Toulouse • 30/01/2005
Orchestre National du Capitole
Choeur du Capitole Chef de choeur : Patrick Marie Aubert Daniel Klajner (dm) Brigitte Jaques-Wajeman (ms) Emmanuel Peduzzi (dc) Jean Kalman (l) |
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photo © Patrice Nin
Le théâtre du Capitole a réuni tous les atouts pour créer un Don Giovanni mémorable. Dans la réalité hélas, tout ne fonctionne pas si bien.
Karine Deshayes est une adorable Zerlina toute en rondeur, plus tendre que garce. Ses airs sont portés par une chaleur et un legato superbes.
Ludovic Tézier effectue une très belle (re)prise de rôle. Il prête au séducteur son arrogance un peu raide, une prestance physique bien campée plutôt que sensuelle et décadente. S'il est amoral, c'est avec une froideur qui n'est pas sans impact. Il s'impose en particulier dans les récitatifs, qu'il nourrit vocalement mais aussi dramatiquement, en se faisant maître d'un temps qu'il suspend ou précipite à sa guise et pare d'infinies nuances de couleurs. Ses airs sont certes magistralement interprétés, mais sans doute trouve-t-il dans le simple accompagnement du récitatif la liberté qui lui manque dans l'orchestre.
Sans être un habitué du Capitole, il est difficile de savoir qui, des musiciens, du chef et de la digestion du dimanche après-midi, est le premier responsable de l'incroyable mollesse de l'orchestre et de son absence d'engagement dramatique, consternante dès l'ouverture. Les chanteurs et l'orchestre sont rarement calés et les tempi rarement justes (la scène des masques peut-être?) mais plutôt tirés vers une ennuyeuse neutralité. Le public toulousain n'a en tout cas pas été tendre pour Daniel Klajner aux saluts finaux. L'orchestre semble lui aussi devoir effectuer un sérieux travail technique pour se hisser au niveau de sa renommée et sortir d'une esthétique exclusivement romantique.
Le choix de Brigitte Jaques-Wajeman, a priori excitant, n'a pas tenu ses promesses. Pour une fois trop respectueuse des chanteurs ou de l'oeuvre, sa mise en scène ne dépasse pas la succession prévisibles d'entrées, de sorties et de poses convenues. Encore les déplacements sont-ils rarement effectués dans l'esprit de chaque moment, mais plutôt avec retard ou hésitation. On remarque tout de même une unique bonne idée : si Leporello chante bouche fermée sa dernière phrase de l'air du catalogue, c'est parce que Donna Elvira lui a plaqué la main sur la bouche pour l'interrompre !
Le décor d'Emmanuel Peduzzi et les lumières de Jean Kalman sont splendides, mais qu'apportent-ils à la pièce? Tantôt une sérénité, quand le sous-bois est lumineux, tantôt une inquiétude quand les arbres laissent voir leurs racines? Le balcon de Donna Elvira est ainsi remplacé par une passerelle au-dessus d'une mangrove. La montée progressive des arbres dans les cintres illustre-t-elle la descente aux enfers de Don Giovanni? Les interactions possibles avec ce décor n'ont en tout cas pas été utilisées par Brigitte Jaques-Wajeman, comme si elle avait répété sur un plateau nu et avait ensuite conservé sa direction d'acteurs dans ce décor comme dans un autre. Ce décor lui-même pourrait bien sûr resservir dès le lendemain pour Eugène Onéguine ou La Traviata.
Richard Bernstein est un excellent Leporello à la diction incisive, même si son passage dans l'aigu manque encore de souplesse. Il affirme son personnage scéniquement mais aussi vocalement, en se détachant clairement des ensembles où il intervient. Brigitte Jaques-Wajeman n'a manifestement pas voulu accentuer son côté "bouffe", sans souscrire non plus à la thèse du "double" de Don Giovanni.
Giuseppe Filianoti, un peu doucereux dans ses expressions et son jeu, s'affirme par une émission vocale claironnante, agréablement saine, sonore et efficace, mais dénuée de toute morbidezza. Si cela convient à"Il mio tesoro" et ses nombreux [a] émis avec franchise, "Dalla sua pace" requiert un autre caractère et la maîtrise de la mezza voce.
Donna Anna et Donna Elvira sont bien typées, nobles toutes deux par le costume, la seconde aussi par le port et l'accent, tandis que la première laisse paraître plus de sensualité. Si Alexandrina Pendatchanska et Roxana Briban ne surjouent en rien dramatiquement, elles "surchantent" en permanence, alourdissant leur émission en semblant tirer toutes leurs notes du grave et de la poitrine. Il est certes généralement positif de dire qu'une voix et ses aigus restent connectés, "ancrés", mais Alexandrina Pendatchanska dépasse ici les limites du raisonnable ! Est-elle d'ailleurs la soprano colorature dramatique de Donna Anna? Ce n'est qu'au prix de serrages de la gorge, de constriction des résonateurs, de tensions de la ceinture scapulaire et de pressions sous-glottiques excessives qu'elle arrive à émettre des aigus qui n'ont jamais le brillant et la liberté requis par le rôle. Le vibrato comme les harmoniques de la voix souffrent de grandes inégalités. Après sa décevante prestation à Ambronay, on est en droit de s'inquiéter pour elle, d'autant qu'elle affiche, outre une personnalité attachante, un talent et un potentiel réels.
Roxana Briban semble plus libre au deuxième acte. Son "Mi tradi" est efficace, quoique forcé par un dramatisme excessif. Peut-être son émission fort peu mozartienne conviendrait-elle à une salle plus grande et un orchestre plus sonore? Elle n'est pas ici idéalement distribuée.
Hormis les excellentes prestations de Karine Deshayes et Ludovic Tézier, que retient-on de cette production? Peut-être la distanciation induite par le décor, les lumières et les costumes comme par la faiblesse dramatique de la direction d'orchestre? Sans que cela ait été creusé par la mise en scène, il en ressort une élégance un peu froide, un côté dix-huitième français plutôt que méditerranéen. Peut-être cette production mûrira-t-elle au fil des représentations et des reprises, notamment sous une autre baguette?
À voir les 1er, 4, 6, 8, 11 et 13 au Théâtre du Capitole.
Alain Zürcher