La Griselda OC
Théâtre des Champs-Élysées • Paris • 21/09/2005
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On attend désormais avec impatience, tant il est gage de plaisir, le rendez-vous annuel de l'ensemble Matheus avec l'opéra vivaldien. C'est cet automne un opéra de la maturité qu'il présente au Théâtre des Champs-Élysées puis au festival d'Ambronay.
La Griselda est un opéra magnifique, bien construit dramatiquement, malgré ou grâce aux nombreuses coupures pratiquées ce soir dans les récitatifs. Il a pour seule faiblesse l'abnégation de son héroïne, aussi improbable à nos esprits contemporains que la magnanimité de Titus dans la Clémence. Griselda reste en effet fidèle à son époux même après qu'il l'a répudiée. Heureusement, ce n'est qu'une épreuve pour faire accepter à ses sujets cette reine à l'âme noble mais à la naissance plébéienne, et tout finit bien.
L'ensemble Matheus sonne bien sec pour l'ouverture, malgré les travaux menés cet été au TCE pour justement rendre moins sèche l'acoustique de la salle. Le retrait de toute la moquette du parterre, remplacée par un parquet, la suppression de quelques autres surfaces absorbantes et la construction d'une nouvelle conque pour les concerts d'orchestre modifient en fait étonnamment peu l'acoustique de la salle. Heureusement peut-être, car elle était déjà admirable pour ce répertoire. Sans doute par contre résonne-t-elle mieux à l'unisson d'oeuvres plus récentes, à l'instrumentation plus moderne, comme le Roberto Devereux donné le lendemain.
Comme c'est souvent le cas des opéras baroques, les airs du premier acte, acte "d'exposition", sont un peu fades. Vivaldi va ensuite crescendo, et si l'acte II contient de très belles pages et est clos par le très beau trio "Non più regina", le troisième et dernier acte est le sommet expressif de l'oeuvre. Chaque personnage y est doté de l'air propre à mettre le mieux en valeur ses talents vocaux et dramatiques.
Est-ce la musique ou l'interprétation qui manque d'ampleur dans ce premier acte? Après l'entracte, placé au milieu du second acte après l'air fameux "Agitata da due venti", l'orchestre est plus tonique et a un son plus plein. Seuls les cors restent durablement faux.
Côté vocal, Jean-Christophe Spinosi réunit une fois de plus un plateau superbe.
Parfois sous-dimensionnée ou distribuée dans des rôles trop aigus mais aussi trop graves, Veronica Cangemi se glisse ici parfaitement dans son personnage de Costanza, dont elle fait rayonner toute la vocalité tour à tour brillante et touchante. Elle phrase très joliment "Ritorna a lusingarmi" avec ses "cocottes" vocales. à la limite de sa tessiture dans le grave, elle sonne un peu légère dans "Agitata da due venti", et l'on voyait Sonia Prina assise à ses côtés, agitée de toute l'énergie qu'elle aurait mise dans cet air, un des rares "tubes" de la partition, que toute mezzo baroque inscrit à son répertoire de récital. Au troisième acte, son air "Ombre vane" est un des plus beaux de la partition, avec sa partie rapide bien contrastée. Cangemi s'y fait entendre à son meilleur, bouleversante, ses aigus magnifiquement émis.
Sonia Prina est également une valeur sûre du chant vivaldien. Toujours d'un grand engagement physique et dramatique, on ne peut lui reprocher parfois qu'un léger "surtimbrage" à la Callas, dès son premier air "Brami le tue catene", où elle fait cependant preuve d'une belle agilité. L'honneur lui échoit de clore l'acte I avec l'air magnifique "Ho il cor già lacero". à l'acte II, elle chante très bien son air de fureur "No, non tanta crudeltà", comme son bel air "Son infelice tanto" de l'acte III.
Philippe Jaroussky sonne à nouveau mieux qu'à la Caravelle du festival d'Ambronay le 17 septembre. Ses graves ne passaient-ils pas l'amplification, ou était-il en légère méforme? Son timbre est ici à nouveau très pur, mais de plus en plus solide dans son apparente fragilité. Dans son air "Estinguere vorrei" de l'acte I, ses phrasés sont splendides, souples et caressants. à l'acte II, "Al tribunal d'amor" est superbe, avant son très bel air tendre "Moribonda quest'alma dolente" de l'acte III.
Iestyn Davies a un timbre de contre-ténor riche et bien sonnant. Son phrasé est simplement encore un peu raide et son legato perfectible. Vivaldi lui réserve à l'acte II le joli air "La rondinella amante".
Blandine Staskiewicz n'a pas encore toute la carrure nécessaire pour affronter les airs virtuoses d'Ottone. Dans son premier air "Vede orgogliosa l'onda", son timbre est pur mais souvent droit et trop ouvert dans l'aigu. Son émission de poitrine est bien négociée mais pas encore totalement naturelle. Au second acte, elle crie des aigus trop ouverts dans "Scocca dardi l'altero tuo ciglio", alors qu'elle semble avoir les moyens de les chanter différemment. Cela relève-t-il d'une mauvaise conception esthétique personnelle? D'une perception erronée des harmoniques de sa propre voix? Ces aigus ne le sont pourtant pas tant, dans un air qui requiert il est vrai toutes les qualités à la fois : aigus, graves, agilité et vigueur ! Au troisième acte, Blandine Staskiewicz se rattrape avec "Dopo un orrida procella". Ses graves sont ici mieux assurés et ses aigus sortent mieux (cqfd?). Elle assume parfaitement les vocalises et les grands intervalles de cet air virtuose, à nouveau un des plus intéressants de la partition.
Dans "Se ria procella", Stefano Ferrari vocalise très bien mais ses aigus sont trop ouverts et ses graves pourraient être mieux négociés. Il chante ensuite très bien le bel air "Tu vorresti col tuo pianto" puis magistralement son air le plus brillant de l'acte III, "Sento, che l'alma teme".
À écouter le 1er octobre 2005 à 19h30 sur France-Musique, ou à 20h à Ambronay.
Alain Zürcher