Jean-Paul Fouchécourt R
Auditorium du Musée d'Orsay • Paris • 11/01/2007
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Jean-Paul Fouchécourt doit faire face à de graves problèmes de concentration. Même chantant penché vers les feuilles qu'il tient à la main, il commet encore une dizaine d'erreurs, substituant un mot à un autre ou inventant parfois quelques syllabes sans aucun sens. Quand la simple transmission des syllabes est si éprouvante, il est difficile de passer au niveau de la phrase ou du poème. Difficile aussi, avec une telle posture, d'être présent pour son public. Un pupitre serait d'ailleurs moins gênant, en permettant au moins au chanteur de se tenir droit et de regarder dans la direction de la salle. On a aussi le mal de mer à suivre ses constants balancements, parfois du haut du corps de gauche à droite ou d'avant en arrière (culbuto), parfois du bassin (hula-hoop) et même une fois quelques petits rebonds de haut en bas pour détacher des syllabes. Comment centrer son émission vocale dans ces conditions? Il y parvient néanmoins davantage en seconde partie puis lors des bis qui sont l'occasion de reprendre deux mélodies particulièrement ratées. Le jeu de Jean-Marc Luisada devient aussi peu à peu plus compréhensible, la confusion du départ finit par s'ordonner. Harmonie du soir de Debussy est ainsi plus assuré au piano en bis, et "Voici venir les temps" a opportunément remplacé "Voici venir les champs".
Mais que penser des pièces pour piano seul? Dans La cathédrale engloutie, Jean-Marc Luisada écrase les touches et les sonorités du Steinway neuf aux sonorités déjà dures, calibré pour des salles bien plus grandes que l'auditorium du Musée d'Orsay. Il semble apprécier et rechercher exprès la dureté trop sonore et clinquante des aigus de ce piano. Ses Cloches à travers les feuilles sont très confuses, La lune descend sur le temple qui fut ne trouve pas non plus son calme et sa résonance naturelle. Chaque note sonne comme juste avant ou après l'instant où on l'attend, comme le produit d'une hésitation brusquement résolue. Jean-Marc Luisada joue ces pièces comme des préludes non mesurés, sans se caler sur aucune pulsation.
Cette pulsation, on la sent enfin dans les accompagnements plus "carrés" des Trois Lieder opus 27 de Chausson, déjà interprétés par Ingrid Perruche et Emmanuel Strosser le 23 novembre. Un calme intérieur rayonne enfin des Heures puis de la Ballade.
Le temps des lilas qui suit est à nouveau plus laborieux. Dans les notes de programme, Antoine Mignon entend une "petite mélodie pleine de charme" dans ce chef d'oeuvre désolé de la mélodie française ! Ce soir, on entend "ce printemps-là" au lieu de "ce printemps-ci" et l'on perd du coup la rime avec "des oeillets aussi". "Las !" est coincé et poussé, "ombrages" est passé en quasi-fausset comme quelques autres aigus du programme ("tue-tête" de Fantoches, "bénie" du Jet d'eau de Debussy). à d'autres moments, Jean-Paul Fouchécourt réussit une belle mezza-voce, ainsi sur "ostensoir" à la fin d'Harmonie du soir et "passe" de l'Odelette de Roussel, où "comme une chair douce aux lèvres" ne lui inspire hélas aucune sensualité vocale et où le "bel été roux qui l'exalte" est remplacé par on ne sait trop quoi.
Les mélodies choisies sont souvent trop graves pour Jean-Paul Fouchécourt. C'est le cas de la dernière phrase du Jardin mouillé de Roussel ou de la partie médiane d'En sourdine. Dans Mandoline de Debussy, il choisit de chanter les "la la la" graves avec une grosse voix de major d'opérette sur des "o" ouverts, ce qui peut être (au choix) une option d'interprétation ou le comble du ridicule. Cette tessiture grave lui évite peut-être d'autres problèmes avec les aigus, qu'il lance généralement à l'emporte-pièces quand il les chante à pleine voix. Par chance, ces aigus passent quand même, sauf quand il dérape sur "la charmille" de Fantoches. Quant à sa respiration, il semble la prendre en ouvrant grand la bouche et la cage thoracique.
Les Cinq mélodies populaires grecques de Ravel, avec leur musicalité plus directe et extérieure, conviennent mieux aux interprètes. Si l'attaque de Jean-Paul Fouchécourt sur "Quel galant" est un peu brusquée, il lance un "Tout gai !" qui ne manque pas de naturel.
Les deux mélodies de Charles Bordes sont une découverte. Sur un vieil air paraphrase Plaisir d'amour de Martini. Dommage que Fouchécourt fasse "fuir" le piano du poème au lieu de le laisser "luire". La Gigue qui suit rappelle les pastiches de Reynaldo Hahn (à Chloris...), mais mis en perspective avec une écriture plus moderne. La déclamation y est proche de Quand je fus pris au pavillon.
Jean-Marc Luisada rend justice à Albert Roussel, tandis que Jean-Paul Fouchécourt anonne un peu le joli Madrigal lyrique. En étant aussi scolaire et peu à l'aise après des décennies de carrière sur scène, il nous rappelle la fragile condition de l'artiste, pour qui rien n'est jamais acquis.
Alain Zürcher