Farnace OC
Salle Pleyel • Paris • 16/01/2007
Jordi Savall (dm)
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Comme à son habitude, Jordi Savall peaufine des couleurs orchestrales sombres et des phrases bien liées, très loin du trépidant Spinosi avec son ensemble Matheus. Il en résulte une richesse de pâte sonore toujours séduisante mais évoluant peu. Vivaldi n'est-il génial que dans quelques airs? "Ti vantasti mio guerrioro" ou "Lascia di sospirar" de Selinda sont peut-être réellement ennuyeux, mais à l'écoute de "Quel torrente che s'innalza" de Farnace, on imagine quand même plus de couleurs et de contrastes pour un résultat bien plus impressionnant !
Parmi les "tubes" de la partition, "Gelido in ogni vena" fut aussi mis en musique par Haendel dans Siroe (créé en 1728), opéra que Vivaldi a aussi mis en musique et fait jouer en 1727 ! Lorenzo Regazzo l'avait bien rendu au Théâtre des Champs-Élysées en 2004. Chez Vivaldi, cet air aurait dû échoir au soprano Farnace, mais celui-ci se trouve ici transposé en baryton. Serait-ce pour donner plus d'humanité à un personnage qui n'en manifeste pourtant guère? Loin de paraître plus naturel, le livret en devient plus improbable.
Furio Zanasi rend bien le climat de cet air par l'utilisation d'une voix de "tête" tendant vers le larmoiement vériste, au risque de lâcher des "a" trop ouverts dans l'aigu. Il chante le reste de son rôle (ainsi son "Spogli pur l'ingiusta Roma") avec un timbre un peu plat et fruste. Son émission est certes directe et efficace, mais sans grande séduction ni profondeur.
"Scherza l'aura lusinghiera" figurait déjà dans Il Giustino et sera repris dans Bajazet. La jeune et prometteuse Céline Scheen le chante admirablement, avec la légèreté précise qui convient mais en phrasant bien aussi les passages liés, avec un timbre fin mais bien concentré. Au premier acte, sa voix tendre vocalisait un peu mollement, avant d'offrir un brillant plus net dans "C'è un dolce furore". Sans ouverture du torse ni stabilité de posture et levant souvent le menton, elle semble s'en sortir par un bon engagement musculaire et une recherche (parfois excessive) de présence et d'expression.
L'excitant "Sorge l'irato nembo" a été repris la même année dans Orlando Furioso. Lawrence Zazzo le chante très bien, même si sa voix de falsettiste est plus fade que le mezzo animal d'une Sonia Prina. Il orne bien son "Roma invitta una clemente"
"Quel candido fiore" sonne aussi familier. Où et avec quelles autres paroles a-t-il été repris? Adriana Fernandez le chante avec finesse, loin des accents de poissonnière de ses récits, mais pourrait orner davantage la reprise. Comment la même chanteuse peut-elle chanter ses récits avec une voix si désagréablement pointue, déraillant parfois et manquant à ce point de partiels graves? Ce n'est qu'avec son air "Langue misero" du deuxième acte que l'on entend un peu de rondeur dans sa voix, mais sa dureté aigre reparaît dans ses récits après l'entracte.
Fulvio Bettini a une émission d'abord un peu empâtée malgré un bon métal, puis ne se fait plus remarquer.
Gloria Banditelli vocalise très bien dès son premier air "Al vezzeggiar". Ses lunettes ne l'embellissent pas, ce qui donne une touche amusante à son rôle de séductrice qui met Gilade et Aquilio à ses pieds.
Avec Gilade, c'est Tamiri qui s'est vu offrir par Vivaldi les plus beaux airs de la partition. Rien d'étonnant quand on sait que le rôle a été créé par la Giraud (ou Girò en Italie !). Marina de Liso est une magnifique interprète de cette femme déchirée entre des devoirs et des sentiments contraires. Sa belle voix ronde au legato parfait n'est jamais grossie et sait aussi vocaliser, même si elle pourrait orner davantage la reprise de "Combattono quest'alma". Non seulement ses airs sont superbes ("Arsa da rai cocenti"), mais ses récits sont profondément expressifs ("Figlio, non vi è piu scampo").
Alain Zürcher