Patricia Petibon C
Théâtre des Champs-Élysées • Paris • 03/06/2009
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Même si cela n'apparaît plus sur le programme de salle, ce concert devait s'intituler, de manière quelque peu emphatique, "L'ivresse des derniers feux ou la fureur de vivre" ! Patricia Petibon y passe effectivement non du rire aux larmes mais des larmes (beaucoup) au rire (un peu). Telle Mélisande, elle ne semble d'abord "pas heureuse ici", mais retrouve après l'entracte deux facettes intéressantes de sa personne et de son art : la chanteuse burlesque de son dernier bis, joué autant que chanté, qui rappelle l'époque où elle chantait et mimait La bonne cuisine de Bernstein en récital, et la chanteuse intensément ancrée et connectée que l'on avait découverte en Camille de Zampa.
Le programme de ce soir, tout classique qu'il paraisse, la fait osciller entre ces deux pôles de sa carrière et de sa technique. Les airs qu'elle choisit chez Haendel ne sont pas interchangeables et sont habituellement chantées par des chanteuses très différentes. Dans l'air d'Alcina "Ah ! Mio cor !", l'ex-soprano légère se permet même des variations vers le grave ! En début de programme, c'est assez périlleux : elle n'a pas encore la tranquillité du souffle et la concentration de timbre qu'elle trouve ensuite. Son émission est ici un peu large et appuyée, au risque de "bouger" légèrement. Son saut dans l'aigu à la fin de la partie B n'est pas non plus très réussi. Plusieurs fois dans la soirée, elle semble vouloir emmener trop de poids sur ces aigus qu'elle veut intenses mais qu'elle prend par en-dessous, au risque de rester trop basse. Elle n'est vraiment à l'aise dans l'aigu que dans la légèreté, telle celle de Morgana en fin de programme. Comme quoi une soprano légère qui gagne en profondeur peut découvrir de superbes médiums mais ne conserve pas forcément, mieux soutenus qu'auparavant, les mêmes aigus...
Ces médiums sont idéaux dans "Lascia ch'io pianga", tube qu'on lui pardonne dès lors d'avoir inclus dans son programme. Elle y trouve une belle intensité d'engagement en restant très sobre dans son ornementation comme dans ses larmes. Un excès de larmes, émises plaintivement et par en-dessous, embuent par contre son motet In furore, dont elle ne fait paradoxalement ressortir que les aspects élégiaques et dépressifs, quand on aurait attendu d'elle un bon rendu de ses passages toniques, qui sonnent au début trop acides. Sa diction y est aussi un peu empâtée par des ouvertures larges et un souffle parfois appuyé en expiration.
Après le court et peu intéressant "Qui d'amor", "Il mio crudel martoro", tiré lui aussi d'Ariodante, est un air terriblement long et répétitif que Patricia Petibon arrive à rendre passionnant de la première note à la dernière ! Simultanément, sa présence dramatique devient aussi connexion physique, alignement vertical, tranquillité du souffle. Sa voix de poitrine se timbre enfin et son aigu devient plus fin et concentré, en un schéma d'ensemble plus vertical, une liaison tendue et sans rupture entre le bas et le haut. Seuls ses sauts aigus en variation sont encore un peu écorchés. Son air "Tornami a vagheggiar" montre ensuite qu'elle sait retrouver sa légèreté d'émission, phraser et orner avec une souplesse et une virtuosité époustouflantes !
Superbes accompagnateurs, les musiciens de l'ensemble Amarillis nous régalent aussi du concerto pour flautino RV443 de Vivaldi. Héloïse Gaillard y déploie une virtuosité magistrale, aux attaques nettes et jamais mêlées de souffle. Elle phrase superbement son mouvement lent, celui-là même que Truffaut a choisi pour illustrer son Enfant sauvage ! Dans Ariodante et les moins captivants extraits du Concerto grosso n°3 de Haendel, Héloïse Gaillard est tout aussi à l'aise au hautbois. Dans son ensemble féminin, deux hommes tout de même (dont l'incontournable Richard Myron), et il est amusant qu'ils tiennent justement les cordes graves ! Amarillis nous offre aussi deux ouvertures souples et toniques, celles de Tamerlano et Rinaldo.
Alain Zürcher