L'ivrogne corrigé
Péniche Opéra • Paris • 11/03/2011
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Le vaudeville est à la mode. Avant celui de Laruette sur Cendrillon à l'Opéra-Comique, voici celui de Gluck sur L'Ivrogne corrigé à la Péniche-Opéra. Avant de vouloir réformer l'opéra, Gluck a arrangé des spectacles on ne peut plus légers ! Partant de comédies mêlées d'airs sur des thèmes populaires connus, il leur ajoute des airs de sa propre composition, jusqu'à renoncer à la reprise d'airs préexistants pour composer un véritable opéra-comique en 1764 avec La Rencontre imprévue ou Les Pèlerins de La Mecque.
Ce soir, Frédérique Chauvet et Alain Patiès ont réappliqué le procédé du vaudeville en remplaçant les airs connus à l'époque par des airs de variété connus de nos jours. A cappella (dans l'attente d'une future orchestration ou pour des problèmes de droits ou simplement pour l'intimité de ces moments), chaque personnage entonne des couplets sur une mélodie de Piaf, Nougaro ou Starmania. Si la mère s'émotionne plutôt sur Piaf, l'adolescente de la famille préfère rapper. Chacun son univers musical et chacun sa boulimie : alcool bien sûr pour l'ivrogne corrigé et son compère (peut-être encore moins corrigé), sucreries pour la mère et téléphone mobile pour la fille. Seul le fiancé semble étrangement sobre. Il est vrai qu'il vient d'être nommé Contrôleur Fiscal, ce qui en fait un jeune amoureux très intéressant.
On découvre ce soir trois jeunes chanteurs fraîchement diplômés aux côtés de deux habitués de la Péniche, Paul-Alexandre Dubois et Edwige Bourdy. Cette dernière remplace au pied levé, et avec brio, une quatrième jeune chanteuse temporairement indisposée. Tous sont excellents de technique vocale comme de jeu. Le tonus et la musicalité de l'ensemble sont parfaitement soutenus par les musiciens du BarokOpera Amsterdam, en nombre réduit dans cet espace intime.
Si ces jeunes chanteurs arrivent à jouer et à chanter librement dans cet espace, ils seront capables de le faire sur les plus grandes scènes. Ils jouent en effet aux pieds mêmes du public, sans qu'obscurité et éblouissement des projecteurs ne les en sépare ! La péniche est disposée en longueur et le décor semble d'abord absent, avant que de petits univers ne soient dévoilés par l'ouverture de placards. La scénographie s'adapte ainsi elle-même à la nature originelle de la salle. Les personnages ne font d'ailleurs que passer, entrer et sortir. Ils s'immobilisent parfois, intrigués par un accessoire que le metteur en scène semble avoir hésité à leur faire utiliser plus avant, mais repartent bien vite dans leur fonctionnement de marionnettes de théâtre de foire. Des marionnettes largement rembourrées en quasi-culbutos, ce qui leur donne une présence et une démarche particulières, bien en rapport avec le caractère excessif et pléonastique de leur éphémère existence de théâtre - qui ne fait qu'outrer le quotidien le plus conventionnel, où se répètent jour après jour les mêmes scènes, sans que nul diable ne vienne en accélérer le cours.
À voir jusqu'au 27 mars à bord de la Péniche-Opéra, puis en Bretagne cet été.
Alain Zürcher