Écoutes de Spectacles

Ariodante OC

 • Paris • 23/05/2011
Ariodante  :  Joyce DiDonato
Polinesso  :  Marie-Nicole Lemieux
Ginevra  :  Karina Gauvin
Dalinda  :  Sabina Puértolas
Lurcanio  :  Nicholas Phan
Le Roi  :  Matthew Brook
Odoardo  :  Paolo Borgonovo

Ce nouvel Ariodante nous est proposé à l'occasion de la sortie de son enregistrement chez Virgin. Pour une version de concert, on admire la capacité qu'a chaque chanteur d'incarner son personnage dès qu'il se lève de sa chaise et de ne pas le lâcher avant de se rasseoir. Les meilleurs chanteurs de la soirée sont d'ailleurs aussi les plus "habités" et les mieux ancrés au sol.

À elle seule, Joyce DiDonato justifie le nouvel enregistrement de cet ouvrage. Au public elle donne émotion et plaisir, mais aux chanteurs présents dans la salle (et aussi sur scène !) elle offre une admirable leçon de posture, de respiration basse et de définition vocalique par des ouvertures buccales parfaitement calibrées. Une connexion parfaite de la voix et du corps, au service d'une interprétation totalement engagée, mais aussi de vocalises nettes et véloces. Elle excelle aussi bien dans les vocalisants "Con l'ali di costanza" et "Dopo notte" que dans les pathétiques "Scherza infida" et "Cieca notte". Au sommet de sa forme, elle ne laisse pas entendre ni même imaginer les inégalités de registre et la coloration nasale qui gênaient dans les mêmes airs lors de son récital salle Pleyel en 2008. à partir d'une accroche vocale, d'un "focus" très concentré, elle tire une ligne vocale tendue comme un fil. Excellente école !

À ses côtés, Marie-Nicole Lemieux incarne un Polinesso qui n'a que le tort d'être un peu trop désopilant pour faire vraiment peur. Difficile de se retenir de pouffer de rire à son "Dover, giustizia, amor", censé clamer ces hautes et sérieuses valeurs morales mais pris entre emphase et second degré. Très différente en cela d'Ewa Podles chez Minkowski, ses vocalises sur "io detesto" sont également plus bouffe que noires. Mais il est après tout agréable qu'un méchant puisse vous mettre de si bonne humeur !

Hors de ces deux chanteuses, la situation se gâte malheureusement. Matthew Brook est un très honnête roi, qui chante un noble "Invida sorte avara". Nicholas Phan est un jeune ténor prometteur mais encore bien vert. Naturel dans le médium, il force ses forte et ses aigus. Son vocalisant "Il tuo sangue" est cependant libre et véloce, et sa maîtrise de la voix mixte est déjà bonne.
Karina Gauvin déçoit d'une manière plus irritante, par excès plutôt que par défaut de moyens. Certes, il faut une soprano bien tonique pour incarner Ginevra, qui quoique victime n'est pas une mijaurée et a sa part d'airs de fureur. Mais il faut attendre son "Io ti bacio" au troisième acte pour percevoir un peu de douceur dans son émission et son incarnation, qui jusque là tient plutôt de la Walkyrie lance au poing. Au disque, elle semble avoir mieux varié sa palette, mais ce sont les attaques droites et un peu trop hautes de ses aigus qui agacent l'oreille. A-t-elle voulu mieux recentrer sur scène ces allègements de "studio", en sacrifiant malencontreusement au passage l'humanité de son personnage?

Peu appréciée en Satirino ni en Gilade, Sabina Puértolas ne me séduit pas non plus en Dalinda. Si elle ondule un peu moins de droite et de gauche, le "masque" où elle place et même appuie sa voix est si serré qu'il se réduit à un pince-nez. Un deuxième personnage est ainsi privé de sa part de tendresse, ce qui nuit à la variété de l'oeuvre. Dans ses vocalises sur "volate", elle lâche au contraire ses "a", ce qui les détimbre. Sans doute ne pourrait-elle pas tenir le tempo avec son émission sous pression habituelle, ce qui souligne encore davantage la nécessité de trouver une solution intermédiaire, ni trop relâchée ni trop appuyée. C'est dans sa charmante scène avec Lurcanio qu'elle trouve plus de finesse, soulignant l'importance de l'écoute et l'obsession peut-être excessive de certains chanteurs de projeter et timbrer leur voix, au-delà de ce que réclame l'acoustique du TCE, quand une plus grande confiance en leurs moyens leur permettrait de jouer d'une palette plus subtile et plus séduisante pour le public.

Alan Curtis ne cherche pas à mettre en avant son orchestre par des couleurs ou des tempi extraordinaires, mais l'architecture d'ensemble fonctionne bien et les chanteurs sont bien soutenus. Seuls quelques rares passages purement orchestraux, comme les Songes funestes de Ginevra, font tout d'un coup remarquer son engagement. Les violons grincent parfois mais les solistes sont excellents, tel le basson qui accompagne "Scherza infida". Alan Curtis fait bien entendre la forte influence française qui tempère et structure l'italianité de cet opéra.