David et Jonathas
Opéra Comique • Paris • 14/01/2013
Orchestre et choeur Les Arts Florissants
William Christie (dm) Andreas Homoki (ms) Paul Zoller (sc) Gideon Davey (c) Franck Evin (l) |
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Enregistrée dès 1998 par les Arts Florissants et déjà appréciée en 2004 dirigée par Emmanuelle Haïm, l'oeuvre de Charpentier se révèle une nouvelle fois passionnante. Claire de structure, touchante et belle de musique, elle acquiert grâce à Andreas Homoki une dimension scénique crédible dans cette production du festival d'Aix-en-Provence. La scénographie de Paul Zoller est très présente aussi, avec son système de panneaux coulissants qui divise le plateau en deux ou en trois, enserre les personnages jusqu'à presque les écraser puis réouvre l'espace autour d'eux... De nombreux baissers et levers de rideaux permettent de recomposer l'espace. Quant aux costumes de Gideon Davey, ils donnent une couleur vaguement balkanique de bon aloi, suffisamment distante de la Palestine et d'une transposition trop directe. Le spectacle peut ainsi rester poétique et intemporel, grâce aussi aux splendides lumières de tableau hollandais de Franck Evin. à la mort de Jonathas, le bel "Hélas ! hélas !" du choeur est ainsi figé dans une pose picturale.
L'orchestre des Arts Florissants, très fourni, a un son très rond et homogène, avec une belle qualité d'ensemble, fruit d'une longue complicité. L'écriture polyphonique est toujours très lisible chez Charpentier. L'oeuvre offre de nombreux petits rôles aux choristes, qui y démontrent leurs qualités.
La distribution vocale est excellente. Pascal Charbonneau a une voix claire, juste assez puissante pour l'orchestre et le lieu. Sa diction est parfaite. Ne déformant aucun son pour le surtimbrer ou l'assurer, il ouvre trop deux ou trois aigus au début, mais sa voix tient très bien la route et se concentre même en cours de soirée. Son émission en voix mixte est superbe quand il revoit Saül à l'acte III.
Avec sa jolie voix fruitée et acidulée, Ana Quintans est un très bon choix pour Jonathas, à l'origine sans doute interprété par un garçon soprano avant sa mue. William Christie et Andreas Homoki l'ont voulu crédible à la fois vocalement et physiquement. Elle chante à l'acte IV, avec un beau legato, un très bel air après le départ de David au combat, elle aussi coincée dans une boîte qui se rétrécit, sur laquelle le rideau tombe comme un couperet.
Arnaud Richard est un Saül très crédible, qui doit forcer son jeu plus que les autres puisque devant incarner la folie paranoïaque du roi, ce qu'il fait très bien. Sa dernière réplique est géniale de ce point de vue psychologique : "Non, du moins dérobez mon trépas à ses yeux !"
Saül intervient aussi dans des saynètes intercalées remplaçant les interludes dansés : il y joue autour de la table familiale son amour pour son fils Jonathas et sa haine pour son "frère" David. Ménagère en robe et tablier, sa femme paraît aimante pour les deux enfants mais meurt. Ces saynètes sont toujours jouées dans une "boîte" centrale resserrée par les panneaux de bois. Elles offrent à l'ambiance "kibboutz" des scènes collectives un complément austère plus "amish".
Déplacé au milieu de l'oeuvre, le Prologue reprend ce motif "domestique" en démultipliant l'épouse en une dizaines de sosies, dont l'un se révèle être la Pythonisse, jouée par l'éternel et impayable Dominique Visse. La pauvre Pythonisse est aussi ridicule que Platée dans cette scène très décalée.
Krešimir Špicer est très expressif et solide de voix. Permise par le système de panneaux, la mise en scène parallèle de sa fureur, des Philistins chantant la paix et de David cherchant Jonathas à cache-cache est très intéressante. Frédéric Caton est une excellente basse claire et sonore, à l'articulation libre. Quoique bizarrement ligoté pour une entrevue diplomatique, il chante un superbe duo avec Saül.
De manière amusante, plusieurs vers évoquent, par leurs paroles et leur ligne mélodique, des équivalents légèrement antérieurs de Lully ou très postérieurs de Rameau. Clins d'oeil entre compositeurs ou pures coïncidences liées à un vocabulaire et une déclamation relativement prévisibles? Ainsi, la fureur de Joabel calque sur "Dépit jaloux, haine cruelle" celle de la Médée de Thésée de Lully, qui chantait en 1675 "Dépit mortel, transport jaloux". Puis Saül avec "Ah ! faut-il tant de coups pour perdre un malheureux?" semble annoncer "Ah ! faut-il, en un jour, perdre tout ce que j'aime?" d'Hippolyte chez Rameau en 1733, et Jonathas avec "Triste devoir, tu me rappelles" évoque le "Tristes apprêts, pâles flambeaux" de Télaïre dans Castor et Pollux en 1737.
À voir jusqu'au 24 janvier à l'Opéra Comique, puis à Caen et à New-York.
Alain Zürcher