Écoutes de Spectacles

Ciboulette

 • Paris • 22/02/2013
Choeur Accentus
Orchestre symphonique de l'Opéra de Toulon
Laurence Equilbey (dm)
Michel Fau (ms)
Bernard Fau, Citronelle Dufay (d)
David Belugou (c)
Joël Fabing (l)
Ciboulette  :  Julie Fuchs
Duparquet  :  Jean-François Lapointe
Antonin  :  Julien Behr
Zénobie  :  Eva Ganizate*
Roger  :  Ronan Debois*
Françoise  :  Cécile Achille*
Monsieur Grenu  :  Jean-Claude Sarragosse
Madame Grenu  :  Guillemette Laurens
Auguste, Victor  :  Patrick Kabongo Mubenga*
Le Patron, Le Maire  :  François Rougier*
Grisard  :  Safir Behloul*
Le Lieutenant  :  Olivier Déjean*
Madame Pingret  :  Bernadette Lafont
La Comtesse de Castiglione  :  Michel Fau
Le directeur d'opéra  :  Jérôme Deschamps
  * chanteurs de l'Académie de l'Opéra Comique

Ciboulette revient à l'Opéra Comique dans une production exemplaire sur tous les plans. Déjà diffusée ce 22 février en direct sur France-Musique, elle a également été filmée. Fort heureusement, car depuis les merveilleux enregistrements radiophoniques de l'Orchestre radio-lyrique dirigé par Marcel Cariven et autres chefs, les enregistrements d'opérette ont souvent été calamiteux. On n'avait jamais entendu cette partition aussi bien servie, avec une telle précision et clarté des choeurs comme de l'orchestre. La langue française est bien sûr également bien servie par la distribution francophone.

Comme le souligne le programme, Reynaldo Hahn a écrit cette première opérette en réaction contre la "comédie musicale" plus légère qui se développait, et en hommage à l'opérette classique qu'elle avait remplacée. Très au-delà de l'élégant musicien de salon, Hahn y apparaît bien meilleur compositeur et orchestrateur. Le livret de Flers et Caillavet séduit également par ses multiples facettes  : son ironie caustique envers les fils de famille ou les militaires, sa parodie des « C'est moi - C'est toi ! » ou de la stupidité des couplets des maraîchers et des maraîchères, la nostalgie du rôle de Duparquet...

Les décors situent l'action de manière réaliste, grâce à des photographies noir et blanc en lieu et place des traditionnelles toiles peintes. Les costumes rêvent l'époque, comme l'écrit Michel Fau, et délirent aussi suffisamment dans les tenues de Madame Grenu, de Conchita Ciboulero, du rôle ajouté de la Comtesse de Castiglione et bien sûr des huit fiancés !

Tous les solistes sont excellents. Julie Fuchs, appréciée depuis son Amour masqué en 2009, est désormais reconnue. Son talent permet au public de goûter le caractère très différent de chacun des airs qu'Hahn a écrit pour Ciboulette, créée par Edmée Favart. Vive et fraîche dans "Moi j'm'appelle Ciboulette", douce-amère dans "C'est pas Paris, c'est sa banlieue", froide séductrice de convention dans la valse de Conchita Ciboulero... En duo, son timbre se marie très bien à la voix claire de Julien Behr. Leur français est excellent. Antonin n'est pas un benêt comme dans le film de Claude Autant-Lara, que l'Opéra Comique a projeté le 19 février.

Comme c'est la tradition, Jean-François Lapointe surchante le rôle de Duparquet, ce qui le fait encore mieux contraster avec les autres protagonistes et le caractérise comme un personnage héritier du passé. Quand Duparquet se remémore sa vie de bohème en Rodolphe, Hahn semble étirer des accords mahleriens sur son mélodrame. On ne les a jamais aussi bien entendus que ce soir par l'Orchestre symphonique de l'Opéra de Toulon. Et quand il dicte sa lettre, c'est le Werther de son professeur Massenet que cite Reynaldo Hahn ! Mais juste avant, c'est dans une veine de chanson que chante Antonin, cette veine décousue qui donne un peu le mal de mer en semblant couler sans structure au fil de la plume, cette veine qui permettra à Hahn de mettre en musique Sacha Guitry de manière si idiomatique et donc superficielle. Que de variété chez ce compositeur !

Jean-Claude Sarragosse et Guillemette Laurens, vénérable prêtresse baroque, forment un impayable couple Grenu. Ils apparaissent comme dans une vue stéréoscopique coloriée, en costume du dimanche sur fond de champ labouré surmonté de la butte Montmartre en un effet digne d'Escher ! Au premier plan, des "toiles photographiques" de vieilles bâtisses parisiennes sont censées représenter Aubervilliers. Un jeu ingénieux entre deux toiles de fond permet de clore la perspective sur une place de village ou de la réouvrir sur les champs et Paris. Dans l'interstice et l'intervalle se glissent les choeurs - hussards en "campagne" ou fiancés clownesques.

Côté clins d'oeil, peu de références actuelles hormis une Marine/Martine, mais un "Ah ! je respire enfin" d'Antonin libéré de la cave des Grenu nous rappelle que Jean Périer, le créateur de Duparquet, avait vingt ans auparavant créé Pelléas ! Pour ajouter encore quelques attraits à ce spectacle, Jérôme Deschamps interprète lui-même, avec force mimiques et une désopilante moumoute, le rôle d'Olivier Métra, transformé en "directeur d'opéra", et Michel Fau chante à la Foster-Jenkins, en se pâmant d'émotions de salon, une mélodie de Reynaldo Hahn devant le rideau, accompagné sur un mauvais piano droit par un pianiste à la mèche lisztienne. Enfin, c'est Bernadette Lafont qui dit la bonne aventure à Ciboulette !

Les jeunes chanteurs de la toute nouvelle Académie de l'Opéra Comique sont déjà sur les planches et bien aguerris, ne se distinguant pas des autres solistes. Certains étaient d'ailleurs déjà sur scène ici il y a deux ans pour la belle production du Conservatoire, Ô mon bel inconnu du même Reynaldo Hahn. Il s'agira manifestement plus d'une troupe que d'un lieu de formation comme naguère à la Bastille. Cela n'est pas surprenant, car le niveau général du chant français a crû de manière remarquable depuis 20 ans. Cela permet enfin de rendre à nouveau justice à des chefs d'oeuvre aussi riches et subtils (et donc facilement gâtés et galvaudés) que Ciboulette !

À voir jusqu'au 26 février à l'Opéra Comique.