Die schöne Müllerin R
Bouffes du Nord • Paris • 25/02/2013
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Appréciés ici-même dans O Mensch de Pascal Dusapin, Georg Nigl et Vanessa Wagner reviennent dans une nudité différente, celle d'un récital et d'un cycle très classiques, sans l'atmosphère d'une mise en espace. S'ils s'y confrontent à tous leurs devanciers, ils pourraient aussi les faire oublier en explorant, qui sait, des pistes nouvelles? - quitte à déplacer des accents, voire des respirations, à varier les tempi et les nuances au gré des couplets... C'est ce qu'ils font parfois. Mais la Belle Meunière a aussi sa magie propre, qui ne se révèle que si l'on accepte certaines normes en matière de phrasé et de couleur vocale...
Le cycle de Schubert est certainement plus intense et inspiré à la fin qu'au début. Les premiers numéros sont en effet souvent strophiques, ce qui est certes l'occasion de varier l'interprétation de chaque strophe, mais requiert tout de même une certaine abnégation de la part des interprètes et du public. On s'aperçoit ce soir, une fois de plus, que ces Lieder strophiques ne fonctionnent que dans la simplicité, la fraîcheur et une relative légèreté. Suivant une voie contraire, Georg Nigl est très appuyé dès la première strophe du premier Lied, jusqu'à fausser sur certaines notes et devoir ajouter des respirations. Des accents intempestifs et des ralentis alourdissent encore le propos - les "Steine" étant bien sûr encore plus lourdes, et la dernière strophe encore plus ralentie.
Dans Wohin?, Georg Nigl est clair et nasal, mais change radicalement de timbre dans le grave, segmentant ainsi la phrase. Il respire même au milieu du dernier "Räder" aigu. Outre ces prises de souffle qui rompent le phrasé, la nasalité est un élément souvent dérangeant au cours de la soirée. Un autre manque récurrent concerne les "n" finaux, que même un germanophone comme Georg Nigl ne fait pas suffisamment entendre.
Dans Danksagung an den Bach, Georg Nigl chante piano en détimbrant "dein Singen, dein Klingen". Mais bah, même si c'est un tabou selon les normes puristes, c'est une couleur supplémentaire, si l'on n'en abuse pas. Dans Am Feierabend, les contrastes de couleur sont appelés par Schubert et donc justifiés. Der Neugierige pourrait par contre être plus convaincant avec moins de contrastes de tempo, moins de césures, de suspensions et d'accents. Nos deux interprètes donnent là une version très expressionniste de la simplicité schubertienne ! Ungeduld avance ensuite bien, ce qui ne donne pas le temps de sophistiquer à l'excès son propos. Mais la dernière strophe est tout de même étrangement accélérée avant un ralenti final ! Morgengruß va de son pas naturel, avec une douceur et une liberté bien agréables. Mais pourquoi respirer par exemple avant "und weint"?
Des Müllers Blumen est à nouveau bien conduit. Tränenregen convient aussi très bien à Georg Nigl, car ce Lied raconte une histoire, suscitant un engagement dramatique direct et naturel. Mein ! pourrait être plus fluide d'articulation et moins lourd au piano. Le fait que le début du cycle ait déjà été très appuyé enlève de la nouveauté à l'intensité de ce Lied. Pause quitte malheureusement la justesse à deux reprises. Mit dem grünen Lautenbande est vilainement nasal, et trop appuyé pour un Lied aussi léger. Der Jäger, si difficile à timbrer pour la voix lyrique qui convient au reste du cycle, est ici tout-à-fait dans les cordes de Georg Nigl, qui a ce mordant "expressionniste" à la Kurt Weill. Ce même caractère anime efficacement le Lied suivant, Eifersucht und Stolz. Georg Nigl pourrait même y être plus contrasté, en allant plus loin non dans l'accentuation mais dans la mezza voce.
Die liebe Farbe contraste bien avec le précédent par son ton plaintif, son tempo traînant et son piano lancinant, dans lequel on entend enfin un peu de poésie et de couleur. Le vindicatif Die böse Farbe va également bien à Georg Nigl, qui peut y canaliser son énergie. Trockne Blumen séduit à l'inverse par une efficace retenue. Der Müller und der Bach est à nouveau trop segmenté par des respirations hautes et bruyantes, qui cassent la simplicité mezza voce de la ligne. La berceuse finale souffre d'inégalités dans ses voyelles.
Selon sa sensibilité propre, chaque auditeur a donc pu se réjouir plus ou moins de cette interprétation, dont on peut en tout cas saluer l'originalité et l'investissement personnel.
Alain Zürcher