Mârouf, savetier du Caire
Opéra Comique • Paris • 25/05/2013
Choeur accentus
Orchestre Philharmonique de Radio France Alain Altinoglu (dm) Jérôme Deschamps (ms) Peeping Tom (Franck Chartier) (chg) Olivia Fercioni (d) Vanessa Sannino (c) Marie-Christine Soma (l) |
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Complète réussite pour une oeuvre qui a été un des plus grands succès de la Salle Favart à sa création, avant de faire une seconde carrière au Palais Garnier. Une oeuvre qui le mérite, car elle a toutes les qualités : intérêt de la musique et de l'orchestration, bonne construction dramatique, excellent livret loin d'être ridicule. Ce dernier ne se limite en effet pas à un orientalisme de pacotille, mais est imprégné d'un caractère musulman presque réaliste. Voici certes un opéra comique français, mais qui a fait un effort très moderne d'immersion dans une autre culture, cette même immersion qu'André Gide et nombre de ses contemporains ont trouvé dans la nouvelle traduction des Mille et Une Nuits par le Dr Mardrus.
Au premier acte, le décor rappelle un campiello goldonien, avec ses façades constructivistes colorées et leurs déformations de perspective rappelant le décor de Don Pasquale à Massy en 2002. Les mêmes boîtes empilées différemment formeront le palais du Sultan, et une série plus petite la ville où échoue Mârouf puis la cabane du pauvre fellah dans le désert. L'ambiance colorée rappelle aussi L'Enlèvement au Sérail d'Aix en 2003. Cela n'est pas étonnant puisque les metteurs en scène en étaient Jérôme Deschamps et Macha Makeïeff. On reconnaît donc leur direction d'acteurs, les déplacements en pas chassés, les mimiques des visages... mais les turbans sont ce soir bien plus développés, portant parfois l'insigne de leur personnage - ainsi une tête de renard sur le turban du vizir, fourbe comme il se doit, un porte-voix sur celui du muezzin ou une sorte de charlotte aux pommes rouges sur la tête du pâtissier ! La robe de la princesse est aussi délirante, gonflée comme une montgolfière ! Deux ânes marchant sur deux jambes sont excellemment comiques.
L'Orchestre Philharmonique de Radio France apporte son luxe à un opéra qui le mérite. La salle Favart est acoustiquement tout à fait adaptée à cette oeuvre - si l'on excepte un final quelque peu tonitruant et confus. Comme le créateur de Mârouf, Jean-Sébastien Bou est un grand Pelléas (qu'il a chanté ici-même en 2002), et Debussy se fait souvent entendre dans la partition - le plus clairement peut-être à l'ouverture du quatrième acte.
Vocalement, c'est toute une génération de chanteurs français qui se côtoie sur le plateau. Leur diction est excellente et rend les sur-titres quasi inutiles. Doris Lamprecht est percutante en femme acariâtre, dont elle joue à merveille les caprices. Jean-Sébastien Bou convainc toujours par son émission très directe et naturelle, un rien serrée seulement à son entrée du quatrième acte mais jamais trop ouverte. Nicolas Courjal a lui aussi un excellent style français, comme Nathalie Manfrino à qui il faut juste pardonner quelques affectations étranges comme de prononcer, sans doute sous prétexte d'aigu, "car" au lieu de "coeur".
Les rôles secondaires sont très bien tenus par Luc Berthin-Hugault en pâtissier, Frédéric Goncalvès en Ali ou Olivier Déjean en Kâdi. Ce dernier et d'autres font partie de l'Académie de l'Opéra Comique.
La seule réserve serait pour la chorégraphie et les danseurs couleur schtroumpf - pourquoi?
Une oeuvre à découvrir, dans une mise en scène réjouissante et colorée qui en met parfaitement en valeur toutes les situations. Jusqu'au 3 juin à l'Opéra Comique.
Alain Zürcher