Pierrot lunaire / Paroles et musique
Théâtre de l'Athénée • Paris • 25/09/2013
Le Balcon
Maxime Pascal (dm) Nieto (ms,sc,v) Florent Derex (projection sonore) Pascale Lavandier (c) Jérémie Gaston-Raoul (l) |
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Enthousiasmant dans sa lecture d'Ariane à Naxos la saison passée, le Balcon revient à l'Athénée et même s'y installe, car il y sera cette année en résidence. Cette fois-ci « c'est du lourd », le propos est plus extrême, les oeuvres aussi. Certes, le Pierrot lunaire de Schoenberg est bien l'oeuvre la plus séduisante et la moins révolutionnaire de son auteur, mais elle est ici poussée plus loin par le choix d'une voix masculine et par une mise en scène particulière. En deuxième partie, l'oeuvre de Beckett a toutes les caractéristiques de Beckett, la musique de Morton Feldman en plus.
Un des axes de travail du Balcon est la sonorisation des oeuvres. Celle du Pierrot lunaire compense cependant à peine la baisse d'une octave que subit la ligne vocale en étant distribuée à un homme. Le début de l'oeuvre en est rendu peu compréhensible. Paradoxalement, alors que l'oeuvre est donnée dans une traduction française de Damien Pascal et d'Alphonse Cemin, il faut se remémorer le texte allemand pour comprendre le texte français. La vocalité est au début plus parlée, parfois ensuite plus intensément chantée, auquel cas les paroles passent mieux la rampe et l'"orchestre" (cinq instrumentistes), grâce à la présence du formant du chanteur. Le traditionnel Sprechgesang, avec ses intonations de cabaret et sa prononciation sculptée à bout de lèvres et de dents, est soigneusement évité. La pièce acquiert donc un autre caractère. Plus directe dans son expression vocale, elle voit son expressionnisme transféré sur scène. Tout le glauque et le décadent, qui est bien présent dans les paroles mais est habituellement masqué par l'esthétique du Sprechgesang et l'élégance de l'orchestration, apparaît ici crûment dans la déclamation plus franche et dans sa représentation scénique. Les visions sont sanguinolentes, cauchemardesques. Une boule suspendue accueille les projections vidéo de l'obscur Nieto, dont les notes d'intention laissent perplexe. Plus tard, c'est le corps allongé du récitant qui sert de support à la projection d'un écorché. Le visage barbouillé de rouge ou de blanc, il trépanne un squelette d'oiseau (quasi ptérodactyle à la Tardi) avant d'y allumer son tabac. Cette "Cassandre" et tout ce cérémonial macabre sont en toutes lettres dans le texte mais on y fait attention pour la première fois ! L'esthétique est surréaliste, dadaïste, on se retrouve projeté dans l'entre-deux-guerres, dans un bouillonnement créatif qui semblait avoir été étouffé par la technologie et sa "propreté", mais que la technologie ici permet et soutient, créant un Chien andalou de notre époque.
L'oeuvre de Beckett mise en musique par Morton Feldman est radiophonique. Elle nous est donc présentée devant le rideau baissé. Un spectateur du premier rang s'avère être "Milord". Sonorisé, il s'adresse de sa place à Jo ("paroles") et Bob ("musique"). On croit les entendre sur une bande enregistrée, mais dans les dernières minutes, le rideau se lève et on découvre que sept instrumentistes cotoyaient sur scène Jo-Bigourdan sous la baguette de Bob-Maxime Pascal. C'est un peu tard pour les apprécier, et la preuve est faite que l'oeil peut s'intéresser quand l'oreille s'ennuie. Rien ne semblant original dans la thématique de Beckett ni marquant chez Morton Feldman, on reste poliment perplexe.
À voir au Théâtre de l'Athénée jusqu'au 28 septembre 2013.
Alain Zürcher