Dialogues des Carmélites
Théâtre des Champs-Élysées • Paris • 17/12/2013
Philharmonia Orchestra
Choeur du Théâtre des Champs-Elysées Jérémie Rhorer (dm) Olivier Py (ms) Pierre-André Weitz (dc) Bertrand Killy (l) |
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En cette année du cinquantenaire de la mort de Poulenc, le TCE nous présente des Dialogues des Carmélites d'anthologie, dont la captation du 21 décembre devrait garder trace pour la postérité !
Si toute la presse s'enthousiasme pour le plateau vocal réuni, celui-ci n'est pas sans défauts. Par contre, Jérémie Rhorer comme Olivier Py ont trouvé une oeuvre à l'unisson de leur sensibilité, dont ils restituent l'émotion avec une adhésion totale. L'orchestre Philharmonia est également remarquable, faisant entendre notamment des cuivres et des bois magnifiques, que les interludes restitués nous font encore plus apprécier.
Durant ces interludes, qui sonnent parfois musicalement bien extérieurs à l'oeuvre, de belles scènes en ombres chinoises sont composées : Annonciation, Nativité, Sainte Cène, Crucifixion. La mise en scène est sinon sobre et intense, dramatisée par les éclairages dans un décor de "boîte noire", minimaliste mais très subtil. Des glissements du plateau et de panneaux font passer d'un intérieur parfois stylisé par une fenêtre en ogive à l'extérieur représenté par de grands troncs dénudés, qui s'inscrivent dans les riches nuances de noir et blanc du décor. Ces glissements évoquent des travelings de cinéma et le dialogue de film que l'oeuvre de Bernanos a d'abord été, mais plus encore la déambulation des religieuses dans l'espace clos d'un couvent entre son cloître et son parloir.
Si les solistes sont puissamment mises en scène, les religieuses sont parfois purement évacuées, sorties de scène alors que la partition les y fait figurer, par exemple quand la nouvelle Prieure fait remarquer à Mère Marie qu'elle l'a mal comprise sur la question - centrale ! - du martyre. Ces religieuses existent par contre remarquablement en tant que choeur.
L'acoustique du théâtre, renforcée par le décor dont les parois renvoient efficacement les voix, est idéale pour l'oeuvre, sonore sans aucune saturation, avec un parfait équilibre des pupitres et un équilibre entre fosse et plateau souvent excellent. Si ce dernier dépend de l'orchestration de Poulenc, de la tempérance du chef et de l'ampleur des voix, il découle aussi de la plus ou moins grande musicalité des chanteurs. Toutes les interventions de Patricia Petibon sont ainsi en parfaite osmose avec l'orchestre et le chef. Osmose aussi avec les intentions d'Olivier Py et avec le personnage, intensément vécu et incarné, puissamment ancré et ressenti physiquement, en une présence incandescente totalement transmuée en rayonnement vocal. Patricia Petibon réussit très bien les grands écarts demandés par Poulenc, les forte aigus surgissant à la fin des phrases de Blanche. Excellente Soeur Constance en 2004 à la Bastille, Patricia Petibon a depuis très bien mûri vocalement. Plus présente tout de même dans l'aigu que dans le grave, elle joue intensément Blanche et sa peur.
Remplaçant Sandrine Piau souffrante, Anne-Catherine Gillet aussi doit gérer ce genre d'intervalles vocaux. Malgré son passage récent au rôle de Blanche, elle campe une Constance toujours très fraîche, exquisément claire de diction et de timbre mais pourtant sonore.
Révélation dans le rôle de Madame Lidoine, Véronique Gens assure à la fois les graves et les aigus de son rôle, avec la présence d'une réelle incarnation, idiomatique à un point impressionnant. Nul doute qu'elle sera désormais l'interprète de référence pour ce rôle. Sophie Koch, présente dans le médium, est moins à l'aise avec les aigus de Mère Marie. On sent dans son interprétation un certain inconfort qui ne fait peut-être que renforcer son personnage et le rend plus antipathique que d'habitude. Elle est excellente dans la scène de sa visite à Blanche et dans les tourments, sincères ou non, de sa conscience quand elle ne partage pas le martyre qu'elle a fait choisir à la communauté.
Beaucoup plus discutable, Rosalind Plowright incarne la fausse tradition d'une voix en lambeaux pour représenter la déchéance de la Première Prieure. La partition inclut certes quelques passages parlés, mais nulle part Poulenc ne demande d'inégalités aussi criantes entre registres de tête et de poitrine ! Inégalités, alternance de sons ampoulés et aigrelets, trous dans la tessiture et accents intempestifs rendent sa voix, pourtant puissante, difficile à suivre sans surtitres et couverte par l'orchestre. Olivier Py lui offre une mort d'anthologie, clouant son lit sur la paroi de fond de scène et l'éclairant par une fenêtre mais donc par en-dessous. Il est dommage que la remarquable intensité de cette vision, qui rappelle le Saint-François d'Assise de Stanislas Nordey à la Bastille en 2004, ne soit pas servie par une interprète de la trempe de Sylvie Brunet, qui a tenu le rôle à Lyon cet automne.
Autre erreur de casting, Topi Lehtipuu dont la voix engorgée, les aigus pénibles et l'absence de legato massacrent les belles phrases mozartiennes du Chevalier de la Force. On rêve là aussi du Bernard Richter de Munich en 2011 !
Le reste de la distribution masculine est séduisant. Philippe Rouillon, sonore et bien chantant en père noble, fait entendre les intonations d'Arkel dans sa scène avec Blanche/Mélisande, comme plus tard Anne-Catherine Gillet rappellera parfois Yniold.
Matthieu Lécroart, libre et naturel d'émission, a très bien évolué depuis son rapide début de carrière. Idiomatique en second commissaire, Yuri Kissin sonne un peu fruste en premier officier, rôle que l'on imagine moins plébéien et plus lyrique. Le fait de confier les deux rôles au même interprète gomme ici cette différence. Jérémy Duffau est au contraire un premier commissaire presque surdimensionné. François Piolino est comme toujours clair et direct, avec dans ce rôle presque une douce chaleur supplémentaire, et un beau legato.
Pour la scène finale, Olivier Py a voulu déjouer les attentes. Après une ou deux carmélites qui inclinent la tête en mesure, il décale volontairement les coups de la guillotine et les lents départs des religieuses vers le fond étoilé de la scène. Où a-t-on déjà vu cela? Étaient-ce Pelléas et Mélisande qui se relevaient et s'éloignaient vers la ligne de fuite d'un lointain paradis?
À voir jusqu'au 21 décembre au Théâtre des Champs-Élysées. à écouter le 21 décembre à 19h30 sur France Musique. à voir le 21 décembre à 19h30 en streaming sur différents sites dont celui du Théâtre.
Alain Zürcher