Écoutes de Spectacles

Lakmé

 • Paris • 10/01/2014
Choeur accentus
Chef de choeur : Christophe Grapperon
Orchestre Les Siècles
François-Xavier Roth (dm)
Lilo Baur (ms)
Olia Lydaki (chg)
Caroline Ginet (d)
Hanna Sjödin (c)
Gilles Gentner (l)
Lakmé  :  Sabine Devieilhe
Gérald  :  Frédéric Antoun
Mallika  :  Élodie Méchain
Nilakantha  :  Paul Gay
Frédéric  :  Jean-Sébastien Bou
Ellen  :  Marion Tassou*
Rose  :  Roxane Chalard*
Mistress Bentson  :  Hanna Schaer
Hadji  :  Antoine Normand
Un Domben  :  Laurent Deleuil*
Un marchand chinois  :  David Lefort
Le Kouravar  :  Jean-Christophe Jacques
  * chanteurs de l'Académie de l'Opéra Comique

Salle comble et applaudissements nourris pour le retour de Lakmé à l'Opéra Comique. Après la belle incarnation de Natalie Dessay en 1995, Sabine Devieilhe était très attendue dans le rôle titre. Révélation lyrique aux Victoires de la musique 2013, elle ne déçoit pas dans ce rôle emblématique de sa tessiture. Si Natalie Dessay m'avait d'emblée captivée par le calme de son legato dans "Pourquoi dans les grands bois", Sabine Devieilhe s'affirme progressivement en cours de soirée et trouve cette ligne fine et haute au troisième acte dans "Sous le ciel tout étoilé" et "Tu m'as donné le plus doux rêve". Son air des clochettes fait un triomphe. Elle excelle également dans le parlar cantando de son personnage - qui a peut-être inspiré Debussy pour Pelléas?


 

Grand changement par rapport à 1995, l'orchestre Les Siècles joue sur des instruments de la fin XIXe. Les cuivres et bois en tirent des couleurs superbes, mais cela change aussi tout le phrasé, toute l'atmosphère de l'oeuvre. L'orchestre n'est plus un chatoyant tapis sonore qui porte les voix, mais souvent un partenaire mélodique qui dialogue avec elles. La structure et les plans sonores gagnent en clarté. Dès l'ouverture, le tuilage des phrases s'avère plus rude. L'oeuvre est davantage tirée du côté de l'opéra comique, surtout au premier acte, peut-être aussi parce qu'instrumentistes et chanteurs sont moins à l'aise en ce début de représentation.

Outre que ce premier acte met justement en scène l'incongruité entre colonisateurs et colonisés, son décor étrangement maladroit, ses maquillages accentués et ses lumières crues contribuent aussi à ce caractère quasi bouffe. Des assiettes portent des cônes d'épices colorées, le plateau en porte comme un plus grand, talus de terre qui barre la vue et ne laisse voir que la tête des personnages qui apparaissent au fond, avant qu'ils ne montent sur le talus et en redescendent à leurs risques et périls.
Au cours de ce premier acte, c'est sûrement le trac qui fait surarticuler tous les chanteurs, ce qui handicape leur timbre et leur legato. Au fil des représentations, ils nous feront sans doute entrer dans l'oeuvre dès le lever de rideau. Ce soir, l'introduction du fameux duo entre Lakmé et Mallika semble tomber "à côté". Voulant gommer des traditions qui sont autant d'attentes, François-Xavier Roth le prive aussi de son charme ineffable.

L'acte suivant, avec l'animation de son marché, bien stylisé en colonnes de récipients de métal et animé comme il se doit par choristes et figurants, rejoint l'imagerie traditionnelle de Lakmé. Les danses "hindoues" sont belles et bien éclairées en jaune et rouge, comme la procession en l'honneur de Dourga, où trois choristes portent de grandes coiffes de fleurs en treillis. La mise en scène qui semblait maladroite gagne en fluidité, comme l'émission vocale des chanteurs. Le troisième acte bénéficie également d'un beau décor de lianes noires tombant des cintres et formant un lit de repos pour Gérald. Les lumières ont gagné en subtilité et en profondeur.
L'ensemble accentus, toujours superbe, fait du doux choeur en coulisse une irréelle pièce atmosphérique presque contemporaine.

Dans le rôle du "méchant" (mais devrait-il l'être?) Nilakantha, Paul Gay a une articulation un peu durcie qui empêche souvent sa voix de libérer tout son potentiel et d'être parfaitement compréhensible. Plus souple dans la nuance piano de son entrée du second acte, il libère ensuite mieux ses forte. On a du mal à croire à son air, qu'il ânonne en se promenant de long en large, mais le public l'applaudit chaleureusement.
Antoine Normand chante avec présence et justesse les douces phrases d'Hadji. Mais oui, il était déjà Hadji avec Natalie Dessay en 1995?! Excellent Mârouf l'an passé, Jean-Sébastien Bou est aussi un peu raide de mâchoire.
Membres de l'Académie de l'Opéra Comique, Marion Tassou est une Ellen assez pointue, Roxane Chalard une Rose au joli médium. En Gérald, Frédéric Antoun qui s'est fait annoncer souffrant se libère aussi au deuxième acte.

Bref, un opéra comique un peu ridicule qui se transforme en cours de soirée en le bel opéra que l'on aime, servi par de jeunes chanteurs français idiomatiques qui gagneront encore en souplesse et en présence, comme la mise en scène en pertinence et fluidité, et l'orchestre en écoute, jusqu'à une soirée sur France Musique et une dernière représentation qui promettent d'être mémorables ! Lakmé a trouvé en Sabine Devieilhe une nouvelle titulaire. Elle maîtrise toutes les facettes de ce rôle, qui ne se limite pas à ses colorature.

À voir jusqu'au 20 janvier à l'Opéra Comique. à écouter le 18 janvier sur France Musique.