Écoutes de Spectacles

Platée

 • Paris • 22/03/2014
Paul Agnew (dm)
Robert Carsen (ms)
Nicolas Paul (chg)
Gideon Davey (dc)
Robert Carsen et Peter van Praet (l)
Platée  :  Marcel Beekman
La Folie  :  Simone Kermes
Thalie  :  Virginie Thomas
Mercure, Thespis  :  Cyril Auvity
Clarine, Amour  :  Emmanuelle de Negri
Jupiter  :  Edwin Crossley-Mercer
Momus  :  João Fernandes
Cithéron, Momus du Prologue  :  Marc Mauillon
Junon  :  Émilie Renard

Clou de l'année Rameau à l'Opéra Comique, cette production de Platée est dirigée par Paul Agnew remplaçant William Christie souffrant. Le travail effectué en amont et la complicité des deux artistes ne laissent guère entendre de différence ! Après avoir été séduit par le jeune ensemble Pygmalion dans Castor et Pollux la veille, on est toujours emporté et convaincu par leurs devanciers des Arts Florissants. La pâte sonore en est riche de plus d'expériences conjuguées et accumulées, sans que leur tonus soit moindre.

Difficile de croire que les Arts Florissants n'aient pas encore mis Platée à leur répertoire, et pourtant ! La production vue et revue au Palais Garnier, avec parfois Paul Agnew dans le rôle titre, était celle de Marc Minkowski et Laurent Pelly. Davantage construite sur la structure de son décor, elle séduisait malgré un caractère plus "décoratif" que la mise en scène de ce soir. Déplacer Platée dans le milieu de la mode peut certes paraître très superficiel, mais traduit au contraire bien mieux l'humanité de l'oeuvre et sa critique sociale. Platée n'est d'ailleurs dans le livret pas une grenouille mais une nymphe, vraisemblablement nymphomane et certainement ridicule. Ce n'est pas non plus un travesti qu'incarne Marcel Beekman, mais bien une femme interprétée par un homme, comme c'est le cas de toutes les nourrices et duègnes à l'époque baroque. Marcel Beekman y est remarquable, au point que l'on a du mal à envisager cette mise en scène avec aucun autre chanteur actuel. Le diapason très bas qui a été choisi évite par ailleurs toutes les tensions possibles et déjà entendues dans ce rôle, au profit de la richesse musicale et interprétative.

Toute la première partie de l'oeuvre fonctionne très brillamment. Le Prologue est efficacement mis en scène, utilisant sans surprise les ressorts de son écriture satirique. à partir du premier acte, nous sommes dans le restaurant d'un hôtel de luxe. Miroirs, mobilier à l'ancienne mais transparent, fonds noirs mettent en valeur les costumes aussi bigarrés et extravagants que les vestes des jurés de l'émission The Voice. Cyril Auvity en Mercure et Marc Mauillon en Cithéron, maître d'hôtel et barman de ce palace, jouent ces serviteurs de luxe aussi bien qu'ils les chantent. La qualité de déclamation lyrique de Marc Mauillon est telle qu'il faudrait réouvrir pour la lui confier la classe de déclamation lyrique du conservatoire !

L'humour comme la signification de l'oeuvre sont parfaitement rendus par cette transposition. Platée y apparaît comme une cliente un peu plus grosse et riche que les autres, ce qui lui donne droit à prendre ses bains de pied et de mains à sa table de restaurant, avant de s'y faire manucurer ou masser en des numéros assez prévisibles mais toujours amusants. Enveloppée d'une serviette de bain, avec un masque verdâtre sur le visage ou des rondelles de concombre sur les yeux, elle n'est pas loin du tout de la réalité de tout hôtel avec spa et thalassothérapie.

L'entracte arrive malheureusement trop tôt. Il en résulte une seconde partie trop longue. Sans presque aucun nouvel élément narratif, elle est forcément plus vaine, puisqu'elle se contente d'enchaîner fêtes et ballets. Le prétexte, peu explicité, semble être le retard mis par Junon à venir débusquer son époux. Si le milieu de la mode a semblé amusant jusque là et si l'écueil du travesti de mauvais goût a été évité par le personnage de Platée, Robert Carsen, en mal d'inspiration, doit se résoudre à accumuler les clichés de goût douteux associés à toute fête parmi la jet set. Les ballets sont remplacés par une variété de numéros, entre le soliste se contorsionnant au ras du sol et la revue hiératique. Jamais grossièrement sexuels ni purement esthétiques, les numéros se tiennent dans un entre-deux dont l'accumulation, accentuée par l'étroitesse du plateau de l'Opéra Comique, finit par lasser. Un peu de vide aurait parfois fait respirer l'ensemble. Restent de belles images très simples comme l'arrivée (ou plutôt les multiples arrivées reproduites en infinis miroirs) de Jupiter - Karl Lagerfeld descendant son escalier avec sa chatte Choupette, ou les mannequins habillés de motifs et couleurs de nuages, ou encore le mannequin à l'immense traîne blanche...

Autre point de déception : la Folie qui ne l'est pas. Raide de voix et de phrasé, approximative de diction française, Simone Kermes est une regrettable erreur de casting, pour un rôle pourtant si facile à mettre en valeur et dont on devrait se souvenir en quittant la salle !
Les autres rôles sont bien tenus. Si João Fernandes tire tout le parti de ses rôles, Edwin Crossley-Mercer est un peu engoncé dans ce rôle de Jupiter devenu bien grave, et la charmante Emmanuelle de Negri n'a guère davantage de possibilités de s'exprimer.

À voir jusqu'au 30 mars 2014 à l'Opéra Comique, et sur Mezzo en direct le 27 mars. à écouter le 12 avril sur France Musique.