Le Pré aux Clercs
Opéra Comique • Paris • 23/03/2015
Choeur accentus
Orchestre Gulbenkian Paul McCreesh (dm) Éric Ruf (ms,d) Renato Bianchi (c) Stéphanie Daniel (l) |
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Après le flamboyant Zampa pour sa première saison 2007/2008, Jérôme Deschamps invite Paul McCreesh et Éric Ruf à recréer le Pré aux Clercs du même Hérold, sauveur de l'Opéra comique par son succès en 1832.
Fondateur des Gabrieli Consort & Players, Paul McCreesh est plus connu pour ses interprétations baroques, mais en tant que chef principal de l'orchestre Gulbenkian de Lisbonne qu'il dirige ce soir, il aborde naturellement un répertoire plus symphonique et romantique. Très sonore dans la fosse de l'Opéra comique, l'orchestre domine parfois le plateau, mais avec une vitalité et des couleurs très entraînantes, qui font pardonner ces déséquilibres passagers. Les voix de ce soir ne sont pas non plus parfaites au point qu'on souhaite les entendre dans une nudité qui dévoilerait encore mieux leurs faiblesses.
L'ouverture démontre qu'Hérold maîtrise parfaitement la mécanique rossinienne. Son cadet d'un an vivra jusqu'en 1867 alors qu'Hérold meurt l'année suivant la création du Pré aux Clercs, mais Rossini a déjà pris sa retraite à l'opéra avec Guillaume Tell en 1829. Hérold utilise les mêmes crescendos et enchaîne rythmes et atmosphères, mais en variant les timbres de manière plus plaisante.
Hérold offre un beau solo à la clarinette, puis au début du deuxième acte au violon. Il ne semble par contre pas doué pour l'écriture des ensembles vocaux, où l'on peine toujours à comprendre les paroles dès lors que les chanteurs ne chantent pas les mêmes. Au deuxième acte, le trio entre la reine, Cantarelli et Isabelle est par contre très réussi. Ils chantent en effet les mêmes paroles mais avec des voix très dissemblables, ce qui évite l'effet de masse sans lignes et sans forme créé par les ensembles précédents. Toute la scène suivante entre les trois est excellente. Bonnes scènes aussi au troisième acte entre les deux époux plébéiens puis entre Mergy, Isabelle et la reine.
Éric Ruf signe un beau décor unique superbement éclairé par Stéphanie Daniel, arbres d'automne représentant la forêt d'Étampes puis, aidés par le mur nu du fond de scène, les murailles du Louvre, et enfin le fameux pré des clercs, lieu de promenades et de duels qui donne son titre à l'ouvrage. Les costumes de Renato Bianchi sont eux aussi "d'époque".
La mise en scène d'Éric Ruf est traditionnelle et convaincante. Rien d'original dans les scènes d'ensemble, mais il utilise de manière amusante et variée les acteurs de la pantomime mise en scène par Cantarelli. Surtout, il pousse la caractérisation des personnages et le jeu théâtral jusqu'à un point d'aboutissement rarement vu à l'opéra.
Marie Lenormand joue ainsi aussi bien qu'elle chante, et ne déparerait pas la Comédie Française.
Les trois ténors sont excellemment différenciés par leur voix et par leur jeu. En Comminge, Emiliano Gonzalez Toro incarne à merveille la vaillance ou la violence, puis aussi bien la complicité galante.
Vocalement, cet opéra comique n'est pas simple, et la distribution ne parvient pas à satisfaire toutes ses exigences. C'est en effet une œuvre à la fois légère mais brillante, qui exige une aisance scénique mais qui offre aussi à certains protagonistes un grand numéro vocal, certainement destiné à mettre en valeur les chanteurs de la troupe de la création, mais qui met parfois en difficulté les chanteurs de ce soir. Si Nicette hérite d'une traditionnelle et facile "bergerette" galante au début du troisième acte, ce sont principalement Mergy et Isabelle qui sont gratifiés de tels numéros de bravoure dignes de Rossini ou Meyerbeer.
On ne comprend pas trop quelle tessiture Hérold souhaitait pour Isabelle, mais peut-être pas celle de Marie-Ève Munger, qui semble encore se chercher. Les graves de cette dernière sont beaux et bien reliés au bas médium, mais elle serre et tend son haut médium de manière très laryngée, avant de parfois émettre un aigu enfin libéré de ce carcan disgracieux, par exemple dans son bel air du début du deuxième acte, "Jours de mon enfance".
Michael Spyres entre aussi sur un air héroïque pour lequel il manque de mordant. Il ne vocalise pas bien sur "palpiter" et semble vouloir à la fois trop ouvrir (la bouche) et trop couvrir (le son) pour ses aigus, qui du coup se bouchent, alors qu'il pourrait les garder plus fermés et concentrés. Comme Marie-Ève Munger, il réussit mieux ses extrêmes aigus, et est physiquement et vocalement à la hauteur de toute la suite de son rôle.
Nicette et Girot, le couple mi-populaire mi-bourgeois et à prétentions indirectement aristocratiques, est incarné par deux types vocaux opposés et comme complémentaires, un baryton chantant en "dunkler Knödel" et une soprano en "heller Knödel", c'est à dire l'un avec un larynx trop écrasé et l'autre avec un larynx trop haut. Cette émission passablement artificielle du baryton donne certes à sa voix un métal sombre que l'on peut apprécier, mais aussi un tremblement dû à la pression excessive nécessaire à contrer la résistance de la musculature du larynx et de l'arrière langue.
Éric Huchet est lui un Cantarelli idéal, tant vocalement que scéniquement.
L'œuvre se termine par un dernier bel éclairage sur la reine qui reste seule tandis que le couple "béarnais" s'enfuit. Elle se termine aussi ce soir par une ovation soutenue du public, qui salue une belle production et une intéressante redécouverte.
À voir jusqu'au 2 avril à l'Opéra Comique. à écouter le 11 avril à 19h sur France Musique.
Alain Zürcher