Winterreise R
Théâtre de l'Athénée • Paris • 11/05/2015
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Baryton-basse doté d'une belle voix, Nahuel Di Pierro a offert un Winterreise classique et de bonne tenue, accompagné au piano par Alphonse Cemin, qui a relancé la tradition de Lundis musicaux à l'Athénée.
Au fil de la soirée se sont succédé des Lieder très incarnés, portés par un couple chanteur/pianiste fusionnel, et d'autres restés à un niveau d'exécution moins libre et entier, où on entendait souvent une voix, une recherche de timbre et un contrôle du son, avant d'entendre un texte et une présence.
Quelques légers défauts de prononciation allemande ne font certes pas douter de la compréhension du texte par le chanteur, mais empêchent l'auditeur d'entrer complètement dans le monde de Müller et Schubert. Le 'e' de 'Wege' et celui de "Quer" sont prononcés trop "è", des "n" finaux manquent ici et là, certains enchaînements riches en consonnes en perdent une en chemin ("nicht stören", "Irrlichts Spiel"...), on entend "jedes Leiden aus sein Grab" au lieu de "auch sein Grab"... Quant aux "ch" ([x]) mi-vélaires mi-chuintés, ce doit décidément être un choix d'Alphone Cemin chef de chant, puisqu'on les entendait déjà en mars chez Manuel Nuñez-Camelino.
Au piano, Alphonse Cemin reste de bon ton, sans surarticulation. Seul le tempo rapide choisi pour Rückblick surprend. Quoique bien assumé, ce tempo rend quand même difficile la compréhension de toutes les paroles pour qui ne les connaîtrait pas par coeur.
Les Lieder "emportés" réussissent bien aux deux interprètes : Erstarrung, Der Stürmische Morgen...
Auf dem Flusse fait partie de ces Lieder bien phrasés, aux contrastes très bien exploités. Einsamkeit aussi, avec sa belle introduction au piano, que le chanteur rejoint parfaitement dans le même caractère.
Vocalement, Nahuel Di Pierro utilise souvent des piani un peu détimbrés, "sur le souffle", d'un bel effet par exemple dans Rast, mais qui conduisent parfois à une émission un peu frontale et plate des aigus, au lieu d'une émission plus concentrée "derrière le nez" et riche en harmoniques, qui aurait d'autres atouts, par exemple sur le "auf" de Wasserflut. Dans Frühlingstraum, Nahuel Di Pierro trouve cette émission plus haute et "mixte", comme ensuite sur les "Herz" de Die Post. Il semble par contre vouloir trop contrôler et manque donc d'un "lâcher prise" vraiment sincère dans l'interprétation des passages les plus engagés.
Dans Der Lindenbaum, on souhaiterait des respirations moins fréquentes. Dans Letzte Hoffnung, le chant est un peu trop appuyé, même dans les passages légers. Cela sonne du coup moins sincère, trop "chanteur". La délicate synchronisation avec le piano en pâtit aussi. Im Dorfe pourrait être plus efficace en étant moins "chanté" et plus sarcastique, plus mordant. Dans Täuschung de même, la voix pourrait rejoindre la légèreté et la finesse du piano.
Der Wegweiser est à nouveau remarquable d'engagement et d'accord avec le pianiste. Nahuel Di Pierro semble mieux en maîtriser le par coeur, pouvoir se détacher de la partition et donc être plus présent par son regard. Dans Das Wirtshaus, il pourrait mieux profiter des silences, les laisser s'installer, et n'est pas très juste sur les "nun weiter". Die Nebensonnen est de nouveau parfois trop purement vocal. Mais heureusement, le Lied final Der Leiermann ne l'est pas !
Une belle interprétation donc, qui peut encore mûrir mais qui nous change déjà agréablement de l'omniprésent Matthias Goerne. Mais bizarrement, ce cycle de Lieder le plus donné en récital à Paris n'a pas attiré les foules.
Alain Zürcher