Gerhaher : Mahler R
Cité de la Musique • Paris • 05/06/2015
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Déjà très apprécié en 2009 à l'Auditorium du Musée d'Orsay, Christian Gerhaher revient pour un programme Mahler avec son fidèle complice Gerold Huber. Plus encore qu'en 2009, on sent la connivence de conception entre les deux partenaires. La liberté d'Huber et le naturel du discours de Gerhaher se nourrissent l'un l'autre et dialoguent sans cesse.
Chez Huber, on admire le détachement du solfège et presque du rythme écrit, certes respecté mais en donnant l'impression de recréer la partition dans l'instant, en grands gestes lyriques et éclats véhéments joués comme au hasard et "en dehors". Il donne ainsi à la partie de piano une justification nouvelle, un sens plus instinctif, en réaction au chant, aux paroles...
Chez Gerhaher, on admire le lien toujours conservé entre la voix parlée et la voix chantée. Loin de se barricader comme certains, ou comme à une époque révolue, dans un timbre de "chanteur", uniforme ou même varié, Christian Gerhaher fait souvent naître le chant de la déclamation parlée, ou même plutôt de la simple énonciation parlée, tant son émission est dénuée de toute affectation. Comme écrit en 2009, ses forte sont d'autant plus impressionnants qu'ils sont en contraste plus grand avec ce qui les amène.
Seul le début du premier Lied du programme inquiète par les accents hachés donnés sur "Hochzeit macht" et sur "traurigen Tag", mais cet étrange excès n'est plus reproduit de toute la soirée. C'est ensuite une voix toujours posée, portée sur le souffle qui permet à Gerhaher ses longs phrasés, où le souffle unifie la variété des timbres. Ses "a" sont toujours bien clairs, ses aigus brillants, dégagés et concentrés à la fois dans Ging' heut' morgen, solides dans Ich hab' ein glühend Messer, piano dans Die zwei blauen Augen, en voce finta plus loin... Gerhaher sait aussi diminuer ses forte, comme dans Der Schildwache Nachtlied.
Le programme composé est équilibré et intéressant, avec une sélection de Lieder du Knaben Wunderhorn placés entre les quatre Lieder eines fahrenden Gesellen et les cinq Kindertotenlieder. Ablösung in Sommer offre à Huber une palette de contrastes lui permettant de manifester une fois de plus sa liberté et sa souplesse. Wo die schöne Trompeten blasen lui permet de démontrer ses qualités de toucher et de phrasé. Um schlimme Kinder... est amusant au sein de ce programme plutôt grave.
C'est dans le premier des Kindertotenlieder, Nun will die Sonn', que Gerhaher utilise au mieux ses départs en voix parlée, comme en confidence, en monologue avec lui-même. Une voix comparativement presque blanche mais très naturelle et "sincère". Toujours portée sur le souffle, elle se connecte sans problème avec un timbre plus chanté. Le deuxième Lied, Nun seh' ich wohl, est forcément plus "chanté" dès le départ. Le troisième, Wenn dein Mütterlein, démontre une nouvelle fois la parfaite liaison de grands contrastes, alliant simplicité et intensité. Ce n'est que dans le cinquième et dernier, In diesem Wetter, que Gerold Huber semble pris en défaut avec un jeu un peu lourd qui ne lui permet pas de rendre les "éclairs" de cette tempête - et s'il faut lui reprocher quelque chose, il tape vraiment trop des pieds !
Alain Zürcher