Écoutes de Spectacles

Récital Sabine Devieilhe C

 • Paris • 14/11/2017
Sabine Devieilhe, soprano

photo © Molina visuals

Après avoir dû annuler, pour cause d'heureux événement, son récital prévu en octobre 2016 avec Les Siècles, Sabine Devieilhe a été heureusement reprogrammée cette saison en compagnie de François-Xavier Roth . Ils ont ainsi pu offrir au public une bonne part de leur enregistrement sorti il y a quelques jours, additionné de quelques ouvertures qui offrent à la soprano des plages de repos.

L'intéressant programme nous replonge dans une époque et des classiques légers qui paraissent aujourd'hui très kitsch, après avoir enchanté des générations. Le programme contient quelques tubes du répertoire de soprano colorature comme "Je suis Titania la blonde" extrait de Mignon, "A vos jeux, mes amis" extrait d'Hamlet d'Ambroise Thomas et les airs de Lakmé de Delibes, que Sabine Devieilhe et les superbes Siècles nous avaient fait entendre sur scène en 2014 à l'Opéra Comique.
Mais les artistes nous font aussi découvrir le délicieux air "Le jour sous le soleil béni" tiré de Madame Chrysantème d'André Messager, qui ne cède à aucun orientalisme facile. On entend aussi en français le petit air du Rossignol de Stravinsky, que l'on a pu découvrir au Châtelet en 1997 chanté en russe par Natalie Dessay. Les Quatre Poèmes Hindous de Maurice Delage, dont le troisième rappelle les Chansons Madécasses de Ravel, sont courts, beaux et contrastés. La Mort d'Ophélie, d'Hector Berlioz, s'ajoute aux références shakespeariennes du programme. La liaison entre Shakespeare et l'orient est d'ailleurs faite par Ambroise Thomas, dans les accents orientalisants qui animent tout d'un coup la vocalise que le lac bleu inspire à Ophélie !

La présence de l'air de Berlioz surprend davantage du fait de sa tessiture plus centrale, mais Sabine Devieilhe est loin de n'être qu'une colorature ! Son médium est très nourri et magnifiquement relié au grave. C'est d'ailleurs cette émission directe et vaillante dans le médium, fondée sur l'articulation du texte et la définition juste des voyelles, qui la caractérise le mieux et la distingue de ses illustres aînées. Elle rencontrera certainement moins de difficultés que Natalie Dessay à élargir et enrichir son répertoire. Dans l'aigu aussi, on admire le point d'honneur qu'elle met à chanter les voyelles écrites, au lieu de les remplacer par les vagues et faciles "a" de générations de cantatrices se transmettant de maîtresses à disciples des traditions douteuses. Ainsi, Madame Chrysanthème chante bien une étoile qui rêve et non qui rêv-ah, et la lune de Lakmé se jou-ou-oue et non se joue-ha ha dans les grands mimosas !

La qualité de verticalité de Sabine Devieilhe est quasi effrayante. Avant chaque morceau, elle vient rejoindre sa place sur le podium à côté de celui de François-Xavier Roth, exactement la même place à chaque fois, exactement dans la même posture parfaite et imperturbable, telle une inhumaine poupée des Contes d'Hoffmann, mais pour nous délivrer un chant pourtant autrement plus humain. Son incarnation de la musique et sa simplicité sont stupéfiantes, bien au-delà des clichés de façade dont il faut nourrir ses interviews pour se forger une image d'artiste sympathique. La franchise d'émission de ses médiums est en relation directe, physiquement avec la qualité de sa posture, mentalement avec la qualité de sa concentration. Rien de diffus chez elle, rien de trop ouvert, de relâché ou de crié. On reste juste ce soir un peu frustré par quelques aigus prudemment écourtés, tel l'aigu final de l'air des clochettes. Mais puisque Sabine Devieilhe est loin de tout miser sur ces aigus, elle peut se le permettre.

L'acoustique de la grande salle fait parfaitement entendre les pupitres de l'orchestre et flatte agréablement la voix, avec le seul désagrément de la réverbération ronflante qui accompagne les brusques forte. Sabine Devieilhe a une intonation aussi parfaite que sa diction.

L'orchestre est superbe, et si certaines pièces prêtent à sourire, d'autres sont intéressantes jusque dans leur convention, ainsi l'ouverture de Raymond d'Ambroise Thomas, le ballet de Lakmé ou l'amusante ouverture de La Princesse Jaune de Saint-Saëns.
En bis de luxe, Alexandre Tharaud déboule avec son piano à queue comme sur un plateau d'émission de variétés, pour une enchanteresse Romance d'Ariel de Debussy.