Il Combattimento di Tancredi e Clorinda C
Théâtre des Champs-Élysées • Paris • 04/03/2004
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Ce concert est sans doute très différent de ce qu'il aurait été avec Ian Bostridge initialement programmé au lieu de John Mark Ainsley. La voix solide et homogène de ce dernier, déjà apprécié dans Saul à Munich, fait paraître un peu maigrelet l'effectif instrumental. La grande sincérité de son émission donne une aussi grande justesse à son interprétation, mais sans les raffinements que Bostridge y auraient peut-être apportés.
Paradoxalement, le Concert d'Astrée manifeste plus de présence et d'engagement dans les madrigaux de la première partie, chantés alternativement par les trois solistes et les deux ténors en duo, que dans le Combattimento, où John Mark Ainsley tient le rôle principal du Testo. Les musiciens n'y font pas preuve de grandes audaces figuratives et dramatiques et se cantonnent dans une neutralité bienveillante que Monteverdi lui-même aurait peut-être trouvée un peu fade, même si ses indications de jeu sont respectées. Emmanuelle Haïm impulse cependant toujours à son ensemble un merveilleuse justesse de phrasé et de respiration.
Patrizia Ciofi semble adopter à dessein une émission souvent expirée et droite. La juge-t-elle la mieux adaptée à ce répertoire? Dans Lucie de Lammermoor déjà (il y a deux ans au Châtelet), son émission d'abord très instable se cherchait.
Dans "Ohimé, ch'io cado, ohimé", son inspiration est haute (thoracique), et son expiration l'est aussi, symétriquement. Ce chant en expiration ne manque pas d'expressivité ni même d'engagement physique, mais il ne peut être tonifié et stabilisé par l'antagonisme des muscles inspirateurs (diaphragme et intercostaux externes), puisque l'expiration ne fait au-dessus du diaphragme (par le relâchement de la cage thoracique et peut-être la contraction des intercostaux internes) et non par l'action des muscles abdominaux.
Quand elle veut donner plus d'intensité, comme dans le Lamento di Maria Stuarda de Carissimi, l'augmentation de la pression expiratrice (non équilibrée par l'antagonisme des muscles inspirateurs) l'amène à crier un peu ses aigus et à perdre ses harmoniques graves. Ceci est renforcé par le raccourcissement de son conduit vocal par ses lèvres un peu tirées en arrière.
Le bis a offert deux Orfeo à l'Eurydice de Patrizia Ciofi, permettant de poursuivre la comparaison entre les couleurs et émissions vocales très différentes des deux ténors.
John Mark Ainsley manifeste toujours un "noyau" de voix très concentré et solide. Son formant du chanteur et son vibrato sont très stables. Il chante sans à-coups, en formant ses voyelles de manière très souple.
Paul Agnew joue dans ce bis davantage sur les demies-teintes, qui lui réussissent toujours très bien. Plus tôt dans la soirée, son émission est parfois trop directe. Au début de "Tempro la cetra", cette émission directe est un peu forcée. Dans "Tornate, o cari baci", ses aigus sont un peu trop ouverts. Dans "Ecco di dolci raggi il sol armato", des ouvertures buccales un peu larges, une articulation un peu excessive et des accents d'intensité à la Laurent Naouri nuisent parfois au legato, que l'on retrouve avec plaisir dans les passages doux. Le trac semble accentuer la rudesse de son émission en début de programme, alors même qu'il est magnifique dans la morbidezza et gagne toujours à une émission plus mixte, comme celle de son "Maledetto sia l'aspetto". Si ces défauts vocaux sont regrettables au niveau vocal où il pourrait se situer, ils sont cependant beaucoup moins marqués que dans les Boréades l'an dernier.
À écouter le 6 juin 2004 à 9h sur France-Musiques.
Alain Zürcher