La Fida Ninfa OC
Théâtre des Champs-Élysées • Paris • 18/10/2004
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Les opéras de Vivaldi se suivent et se ressemblent, mais pour le plus grand bonheur des amateurs ! à l'heure où paraît en disque l'Orlando Furioso donné au festival d'Ambronay puis ici-même l'an passé, c'est le Vivaldi nouveau qui monte d'Ambronay à Paris, interprété par le même ensemble Matheus et presque les mêmes chanteurs.
Dans l'absolu, la soirée a été très excitante. Le public a fait un triomphe à tous les artistes. Il est cependant intéressant de comparer cette soirée avec celle d'Ambronay neuf jours auparavant, afin de mettre en perspective la performance de chacun des chanteurs de cette distribution parisienne. En effet, aucune des deux soirées n'a offert la distribution idéale.
Assurément, toute l'équipe a rodé et mûri son interprétation. L'acoustique très différente modifie l'écoute mais aussi le jeu. Enfin, trois chanteurs ont été remplacés.
Dès l'ouverture, on entend des nuances plus délicates, des contrastes plus grands, des timbres instrumentaux plus fins. Tout au long de la représentation, la direction de Jean-Christophe Spinosi sera un peu plus sage, mais non moins intense. La couleur orchestrale des cordes seules, variée avec plus de subtilité, ne lasse pas.
Le surtitrage pallie la réduction des récitatifs. La succession / opposition des personnages deux à deux est mieux visible. La suppression de quelques airs supplémentaires donne finalement à l'ensemble une meilleure cohérence.
Si Anna Maria Panzarella remplace Ann Hallenberg souffrante, le choix de Veronica Cangemi était réfléchi sinon judicieux.
Ferrando de René Jacobs à Aix en juillet 2000 et Sospiro dans L'Opera Seria de Gassmann au théâtre des Champs-Élysées en mars 2003, Jeremy Ovenden offre en Narete un plaisir et, faut-il le dire, un soulagement aussi intenses l'un que l'autre.
Là où Alexandrina Pendatchanska, pourtant soprano (? !), campait un Morasto viril un peu trop appuyé en poitrine, Veronica Cangemi en fait un soprano de couleur assez légère, moins masculin et moins enragé. Ses respirations sont hautes et bruyantes, ce qui accroît encore la clarté et la légèreté de son émission. Charmante dans le haut-médium élégiaque ou même l'agilité légère, elle n'a absolument pas l'ampleur et l'étendue vocale requise par le rôle de Morasto. Ses graves sont sourds et les airs de rage vocalisants sont en dehors des limites de sa vocalité. En sortie de vocalise ou quand elle arrive à bout d'un souffle assez court, ses aigus sont criés. Sa voix n'étant pas naturellement ample, son émission est souvent poussée. Elle est cependant magnifique et touchante dès qu'elle ne sort pas des limites de sa voix, notamment dans son bel air pathétique accompagné par le seul théorbe.
Veronica Cangemi donne de "Destin avaro" une version moins follement rapide, moins "mitraillée", à la vocalisation plus légère, moins articulée par la mâchoire. Le résultat est moins excitant mais plus libre, même si bien des notes extrêmes sont à peine et mal esquissées, dans cet air il est vrai inhumain ! "Fra inospiti rupi" n'a pas ce soir le quart de sa densité. Mais ce rôle ne devrait-il pas être tenu par une mezzo? (Une de plus !)
Les chanteurs déjà présents à Ambronay ont encore progressé. Philippe Jaroussky est encore plus séduisant. Son air "Serpe tortuosa", bien figuré à l'orchestre, est superbe. Lorenzo Regazzo en fait des tonnes non seulement en Oralto mais aussi en Éole.
Marie-Nicole Lemieux a une émission de meilleure tenue qu'à Ambronay. Sa diction est moins empâtée et son jeu a gagné en finesse. C'est l'éternel problème des artistes devant plutôt restreindre leur tempérament et accepter d'en donner parfois moins pour en faire recevoir plus. Sa voix sonne déjà très bien quand elle n'en fait pas trop, ne bouge pas trop et surtout n'ouvre pas trop la bouche. Charmante et primesautière dans "Cento donzelle", désopilante en Junon, elle trouve à nouveau dans ce rôle une ampleur et une ligne vocale dans le grave qui donnent envie de l'entendre dans des rôles plus sérieux et soutenus.
Anna Maria Panzarella semblerait une excellente Licori si l'on n'avait pas connu la perfection technique et la pureté de timbre "à l'ancienne" d'Ann Hallenberg. Elle campe un personnage plus direct, plus quotidien mais par là peut-être plus touchant, au timbre moins pur, à la technique plus visible, à la ligne moins stable. Plus élégiaque et moins vocalisante, elle rend pleinement justice à son bel air "Amor mio". Connaissant très bien le rôle, elle est encore plus à l'aise vocalement après l'entracte.
Jeremy Ovenden a un beau legato et une magnifique maîtrise de la voix mixte, qui confère souplesse et élégance à son émission. L'orchestre, en l'accompagnant, peut être plus souple, plus nuancé, respirer mieux, se sentir en sécurité et développer des phrasés plus longs. Son "Deh ti piega" est superbe. Son "Non tempesta" est bien réussi, même s'il n'épuise pas tout le potentiel de cet air, plus proche de la vocalité de José Montero.
Si Jean-Christophe Spinosi et Naïve / Opus 111 réussissent à réunir le meilleur des deux distributions d'Ambronay et de Paris, le futur enregistrement de cette Fida Ninfa s'inscrira dans la belle lignée de La Verità in Cimento et d'Orlando Furioso !
Alain Zürcher