Aida
Théâtre antique • Orange F • 08/07/2006
Orchestre National de Lyon
Choeurs du Capitole de Toulouse, de l'opéra de Monte-Carlo, de l'Opéra-Théâtre d'Avignon et des pays de Vaucluse, ensemble vocal des Chorégies d'Orange Michel Plasson (dm) Charles Roubaud (ms) Brice Mousset (chg) Emmanuelle Favre (sc) Katia Duflot (c) Vladimir Lukasevitch (l) |
|
Grâce à la scène du triomphe du Radamès, qui se prête au grand spectacle, Aida est incontournable à Orange comme à Vérone. Attiré en outre par Roberto Alagna, dont le visage agrandi sur de multiples affiches le guidait jusqu'aux gradins, le public a empli le théâtre antique jusqu'à ses derniers rangs. Il serait cependant exagéré de prétendre qu'il a fait à son héros une ovation délirante. C'est bien plutôt le Coréen Seng-Hyoun Ko qui aux saluts a déclenché l'enthousiasme, ce qui est somme toute rassurant sur l'état des oreilles de huit mille amateurs d'opéra.
Le rôle de Radamès n'a certes jamais été dans la voix de Roberto Alagna. Si un lyrique léger peut bien mûrir en ténor lyrique, franchir les étapes suivantes autrement que par une lente maturation ou pour un défi ou une satisfaction de fin de carrière relève du suicide vocal. L'étape suivante en est naturellement Otello.
Roberto Alagna n'a hélas pas encore surmonté les ennuis de santé qui avaient causé son forfait de Montpellier dans Cyrano. Si les graves du rôle trop lourd pour lui de Radamès ne sonnent pas très bien, on ne peut pas s'en étonner. L'inégalité de ses registres est plus inquiétante : on ne lui avait jamais connu ce défaut. S'il n'a pas le poids vocal du rôle, sa vaillance aurait pu lui permettre d'affirmer néanmoins la virilité de son personnage. Ce n'est hélas pas le cas. Retenu et prudent d'un bout à l'autre, il réussit certes l'intimisme et la demie-teinte mais n'a aucun mordant, aucune insolence dans l'aigu. Déjà amolli par l'ample robe blanche de son costume, son personnage évoque plus un Romain décadent passant sa vie en banquets qu'un guerrier égyptien. Autre conséquence néfaste de cette prudence sans doute nécessaire, Roberto Alagna va jusqu'à ralentir des passages que la légèreté relative de sa voix aurait plutôt dû lui faire accélérer.
Michel Plasson ne l'aide certes pas, avec la direction brouillonne et lourde qu'on lui connaît trop souvent, et un orchestre de Lyon sans tonus ni précision, pour un résultat sans style. Décalages et approximations sont bien sûr amplifiés par la taille du lieu, qui ne pardonne rien. Les choeurs sont par contre excellents, et l'on ne se douterait pas, à les entendre, qu'ils sont la réunion de plusieurs phalanges qui ne travaillent ensemble que pour les Chorégies.
Les chanteurs et l'orchestre de ce soir sont-ils si privés d'esprit et de rayonnement, ou bien l'acoustique du théâtre antique a-t-elle été modifiée par le toit métallique qui surplombe maintenant la scène? La magie d'Orange ne me semble en tout cas pas avoir fonctionné, même si une grande majorité du public est sans doute repartie ravie de sa soirée.
Censé n'avoir été mis en place que pour éviter la dégradation du mur et les chutes de pierres, ce toit a le premier défaut de casser la magie de la nudité du mur, qu'il sépare désormais du ciel étoilé. Mais un second défaut plus grave semble être de limiter le rayonnement musical tout en le concentrant. Le son de l'orchestre parvient plus tassé, moins aéré, plus synthétique qu'analytique. La voix des chanteurs semble plus prosaïquement présente, un peu comme elle peut l'être à l'opéra Bastille (par opposition au Semper Oper de Dresde par exemple). Elle nous parvient, directement, mais dans un tassement harmonique privé d'aura. Même les rafales de vent ne font plus tourner les sons, privés de leur flottement magique, de leur vibration cristalline dans le silence de la nuit. La qualité même de ce silence semble avoir été modifiée !
Mais revenons au spectacle de ce soir : les projections vidéo désormais habituelles ne sont efficaces que quand des hiéroglyphes sont projetés pendant la scène du triomphe. Ils succédent à l'hébreu de Nabucco mis en scène par le même Roubaud en 2004. Le reste du temps, projeter des décorations égyptiennes floues ne fait qu'affaiblir le mur déjà suffisamment antique d'Orange.
Il n'y a pas d'autre décor, si l'on excepte un escalier donnant un peu d'altitude bienvenue à deux entrées sur la droite. La mise en scène est une mise en espace. Les personnages font des entrées interminables depuis chaque extrémité de l'immense plateau. Heureusement, Indra Thomas est scéniquement crédible dans son rôle et interagit bien avec Marianne Cornetti dans leur scène de l'acte II.
La seule énergie juste du spectacle est apportée par Seng-Hyoun Ko. Son entrée fait éprouver la première excitation vocale de la soirée. Comment appécier Verdi si on n'est pas excité par les voix qui le servent? Certes, le phrasé du Coréen est parfois un peu fruste, mais tout à fait supportable pour Amonasro, dont il traduit bien le caractère.
Marianne Cornetti aussi est une vraie voix verdienne. D'abord un peu fade, sa prestation culmine magistralement au premier tableau de l'acte IV.
Indra Thomas séduit mais ne convainc pas totalement, semblant encore fragile et parfois aux limites de ses possibilités. La lourdeur de son rôle relativement à sa voix compromet parfois son intonation de l'aigu, souvent pris par en-dessous.
Orlin Anastassov est un Ramfis très correct, tandis que Daniel Borowski est un roi d'Égypte vocalement bien pâteux. On le croit un peu vieillissant avant de le découvrir tout jeune dans le programme, ayant manifestement déjà grossi sa voix dans des rôles abordés trop tôt.
Si mise en scène et décor restent dans une neutralité acceptable, le ballet des prisonniers se détache par sa laideur et son mauvais goût. Les costumes en sont hideux, les mouvements inintéressants et mal exécutés. Pour l'aspect "grand spectacle" de la soirée, la "mer humaine" accompagnant la galère de Radamès est plutôt amusante et bienvenue. Cette scène du triomphe, que tout le monde attend, semble avoir été bien répétée et avoir stimulé un peu l'orchestre.
Alain Zürcher