Zémire et Azor
Opéra Comique • Paris • 16/03/2010
Ensemble Lunaisiens
Jean-François Novelli et Arnaud Marzorati (da) Alexandra Rübner (ms) Héloïse Labrande (dc) Nathalie Perrier (l) |
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Dans le cadre de son festival Grétry, l'Opéra Comique accueille une production de la Fondation Royaumont, issue d'un stage "total" visant à recréer l'oeuvre dans le contexte de son époque. Loin d'être un vain exercice académique, cette immersion - et la passion avec laquelle elle a manifestement été conduite - rejaillit dans un spectacle passionnant. Plusieurs axes de recherche s'y rencontrent et s'y fondent en une harmonie totale : une diction "semi-ancienne", des éclairages de même "semi-anciens", une gestuelle itou, la commedia dell'arte et la tradition bouffe pour le serviteur Ali, une vocalité baroque, une orchestration allégée, une comédie ballet sans ballet mais où la part de théâtre parlé a été aussi travaillée que la part chantée...
Une ambiance de troupe est installée en faisant rester sur la scène, assis dans l'ombre au fond, tous les comédiens qui ne jouent pas, comme pour restituer un espace encore plus intime, un théâtre de foire sans coulisses? L'espace est parfaitement maîtrisé. Quelques paravents suffisent à le structurer, corps et mouvements en donnent la mesure. La voix parlée aussi, idéalement projetée, chantante, qui monte et descend souplement et roule au fil de ses "r" mais choisit, entre autres "simplifications", de ne pas faire entendre les consonnes finales, cette voix occupe l'espace. Une rampe lumineuse et un tapis de bougies dans le fond créent une ambiance intime, sans aller jusqu'à l'éclairage entièrement à la bougie du Bourgeois Gentilhomme ou de Cadmus et Hermione. Le temps est pareillement dominé, sans peur du silence. Soutenue encore par costumes et maquillages, la magie du conte peut opérer.
La distribution est bien sûr dominée par Jean-François Novelli et Arnaud Marzorati, directeurs artistiques de ce projet qui leur offre aussi des rôles sur mesure. Jean-François Novelli choisit une émission vocale très directe, claire et ouverte, qui convient très bien à Ali et transmet les paroles avec une intelligibilité plus que parfaite. Il semble avoir étudié et maîtrisé le clown et la commedia dell'arte avec autant de passion que le chant, ce qui lui permet de recréer son personnage bien au-delà de son simple texte, en le nourrissant de toutes les traditions et pratiques de son époque. Arnaud Marzorati joue un rôle plus noble, avec une belle déclamation. Peut-être pourrait-il chanter ses médiums un rien moins larges pour qu'ils conduisent plus facilement à des aigus libres un peu plus en "tête"? Tous deux tirent tout le suc comique et expressif de leur arrivée chez Azor, de l'air d'ivresse d'Ali et du duo fameux "Tu dormiras plus à ton aise / Je dormirai sur cette chaise".
La saison passée, L'Amour Masqué avait permis de découvrir Camille Poul. Surtout, ce spectacle de conservatoire permettait la qualité de travail de troupe que l'on retrouve ici. Combien plus intéressante cette démarche que d'auditionner pour un quelconque Schaunard dans une nième reprise de La Bohème !
Les deux "méchantes soeurs" sont formidables théâtralement. Le premier trio vocal des soeurs est moins parfait. La technique vocale de la jeune Camille Poul est encore assez verte mais ne demande qu'à mûrir. Son aisance augmente d'ailleurs déjà au cours de la soirée, avec un air de la Fauvette très réussi. Elle peut encore améliorer le rapport entre timbre et articulation, voyelles et consonnes. L'ensemble entre les trois filles et leur père quand Zémire veut repartir est ensuite plus réussi. Passant du mélodrame au chant, Arnaud Marzorati et Camille Poul s'en sortent très bien vocalement.
Apprécié dès 2007 dans Les Brigands et la semaine dernière dans Barbe-Bleue, le jeune ténor David Ghilardi est un Azor convaincant et prometteur. Il chante avec assurance le bel air vaillant "Le soleil s'est caché dans l'onde".
Dans la fosse, les Lunaisiens jouent avec un style parfaitement idiomatique, tout en démontrant à l'occasion qu'un chef peut être utile pour assurer une attaque ou tenir un tempo. Il faut enfin suivre attentivement le travail d'Alexandra Rübner, artisan central de la réussite de cette production !... et féliciter Jean-François Marmontel pour l'excellence théâtrale et poétique de son livret, bien moins terre à terre que celui de L'Amant Jaloux programmé parallèlement à l'Opéra Comique !
À voir jusqu'au 18 mars à l'Opéra Comique puis en mai 2010 à Fosses (95).
Alain Zürcher