La finta giardiniera OC
Théâtre des Champs-Élysées • Paris • 28/06/2011
Richard Egarr (dm)
|
|
Après les distributions vocales décevantes réunies par Jérémie Rhorer, en voici une superbe et homogène, qui témoigne de la qualité de l'école anglaise de chant ! Qui l'eût cru? Certainement les étudiants français des dernières décennies, pour qui quitter la France pour la Guildhall School, la Royal Academy Of Music ou le Royal College Of Music était le summum d'un cursus en chant.
Malheureusement, c'est l'orchestre et la direction de Jérémie Rhorer que l'on regrette ce soir ! L'Academy of Ancient Music sonne comme un ensemble baroque égaré dans Mozart, et encore un ensemble baroque au son terriblement générique ! Par rapport au Cercle de l'Harmonie entendu dans Idomeneo ou la Messe en ut mineur, on perd en couleurs comme en phrasés. Mais tout est très tonique, sans faiblesse, en place, très "pro" !
Les chanteurs souffrent des mêmes "défauts", c'est à dire des mêmes "défauts de leurs qualités" : ils sont parfaitement sonores et solides d'un bout à l'autre, semblant presque oublier d'être humains, oublier d'avoir des failles, des faiblesses ! Leur palette de nuances et d'émotions est sensiblement réduite, bridée aussi certainement par un orchestre qui ne fait pas dans l'affect. Aucune morbidezza, aucun chiaroscuro !
L'air figuratif du Podestà Dentro il mio petto évoque pourtant successivement les différents pupitres de l'orchestre, mais l'occasion de faire entendre la dolcezza des flauti et des oboè est totalement ignorée. Les viole sont pareillement escamotées, avant qu'enfin les timpani sonnent un peu tonitruants comme il se doit. Dans l'air où Belfiore déroule sa généalogie, on regrette de même qu'aucune vélocité un peu folle ne se glisse. Au deuxième acte, quand Sandrina se retrouve dans un lieu sauvage, l'orchestre reste très banal de couleurs, de phrasés et d'accents, comme s'il ne comprenait pas tout le potentiel de l'écriture de Mozart ou se refusait à le réaliser.
La finta giardiniera est certes un opéra de jeunesse, mais faut-il à ce point l'interpréter comme une pantalonnade napolitaine, alors même que l'on y entend en germe mille subtilités bien mozartiennes? Comme à Royaumont en 2005, on regrette que davantage de coupures n'aient pas été effectuées, par exemple dans l'interminable final du deuxième acte ! Elles l'avaient d'ailleurs été lors de la reprise scénique de ce spectacle à Saint-Quentin-en-Yvelines en 2006. Contrairement aux opéras haendeliens où le premier acte, acte d'exposition, est souvent ennuyeux, c'est le deuxième qui ici s'éternise, avant que le troisième soit heureusement expédié plus rapidement. On avait en fait tout compris (et apprécié) dès le premier acte, très soigné par Mozart.
La vocalité bouffe est bizarrement absente de la distribution. Cet opéra en principe bouffe est ainsi chanté le plus sérieusement mais surtout le plus vocalement du monde. On se plaint parfois de voix sous-dimensionnées, ici c'est l'inverse ! Andrew Kennedy est bien plus que bouffe et Andrew Foster-Williams est constamment terriblement sonore et égal, ce qui est une qualité enviable mais ici parfois lassante.
Rosemary Joshua, déjà plusieurs fois appréciée dans ces pages chante toujours aussi bien. James Gilchrist semble d'abord âgé pour son rôle, mais à part quelques bêlements et nasalisations occasionnels, il s'en sort très bien. Seul son duo de retrouvailles avec Sandrina au troisième acte le met quelque peu en difficulté. Daniela Lehner est une excellente mezzo, qui chante au troisième acte le bel air serio "Va pure ad altri in braccio", soutenue par un orchestre pour une fois bien engagé. Elizabeth Watts est plaisamment féminine dans son personnage. Klara Ek est tout aussi excellente, notamment dans son bel air de fureur du deuxième acte, Vorrei punirti indegno.
On sent chez tous une technique vocale solide et de la même école. Par leurs attitudes et leurs échanges de regards, ils incarnent également très bien leurs personnages.
À écouter le 12 août 2011 à 20h sur France-Musique.
Alain Zürcher