La Didone
Théâtre des Champs-Élysées • Paris • 16/04/2012
William Christie (dm)
Clément Hervieu-Léger (ms) Eric Ruf (sc) Caroline de Vivaise (dc) Bertrand Couderc (l) |
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Le Théâtre des Champs-Élysées accueille une production bien rodée, puisqu'elle a été créée cette automne à Caen puis donnée au Luxembourg. Ce mûrissement partagé se ressent dès l'ouverture parfaitement fondue. Si les timbres de chaque chanteur sont différents, leur homogénéité stylistique est remarquable. Le Jardin des Voix de William Christie en est en partie responsable, puisque plusieurs petits rôles en sont issus. à leurs côtés, Nicolas Rivenq fait figure d'ancien - il a vécu toute l'aventure des Arts Florissants !
Un opéra de Cavalli est avant tout une oeuvre de théâtre - d'excellent théâtre ! Son librettiste Busenello est d'une qualité inouie, d'une justesse, d'un modernisme et d'une variété qu'aucun auteur du XIXe siècle n'approche ! (Comparer les invectives de Didon trahie et le livret de la Muette de Portici serait cruel !) Cavalli coule sur ses vers une musique qui épouse, modèle et exalte chaque affect.
Malgré sa jeunesse (et son statut de pensionnaire de la Comédie Française, une carte de visite très à la mode chez les metteurs en scène ces derniers temps !), Clément Hervieu-Léger effectue un travail remarquable, collant comme Cavalli aux personnages et à l'action, ne lâchant pas une intention ou un mouvement avant son terme. Comment une oeuvre en apparence aussi décousue peut donner une telle impression de continuité et communiquer une telle intensité, voilà un miracle !
Sous cette apparence décousue se cache tout de même une belle structure : Énée qui fuit Troie puis Carthage, Iarba l'anti-Énée qui reste alors qu'il n'est pas aimé, l'équilibre et la symétrie des numéros de chacun, les réapparitions fantomatiques de personnages morts, les ponctuations des personnages bouffe, le parallélisme des niveaux humain et divin, tous étant soumis au "destin"... Ces dieux apparaissent en haut du décor, mais descendent bien vite parmi les humains dont, bien avant Offenbach, rien ne les distingue.
Le décor d'Éric Ruf, autre sociéaire de la Comédie Française, a aussi son envers (Troie en ruines) et son endroit (Carthage en construction) - même si cette dualité a peut-être des origines purement pratiques de coût et d'encombrement ! Les lumières de Bertrand Couderc sont efficaces pour rendre "habitable" et profond ce décor pourtant plat, en le nimbant d'une pénombre chaude d'où se détache successivement tel personnage ou telle action.
La direction d'acteurs de Clément Hervieu-Léger nous régale d'une superbe scène "réaliste" de la mort de Chorèbe, de la plaisante scène "érotique" de la folie de Iarba... Comme William Christie, il accepte le silence et en joue, grand art musical et théâtral ! On ne lui reprochera que la réticence finale, anachronique et mal venue, de Dido à accepter Iarba.
Cavalli est à la mode, juste retour des choses après qu'on lui a si longtemps préféré Monteverdi, peut-être à cause de la rareté de son oeuvre conservée? ! Plus homogène que L'Egisto donné à l'Opéra-Comique et plus convaincant que La Calisto donnée ici-même, ce spectacle rejoint le niveau de la Calisto de Genève, avec son travail dramatique approfondi et sa grande cohérence musicale. Proche des effectifs de Cavalli à l'époque, William Christie a fait le choix d'un orchestre de cordes et d'un continuo sobre. La déclamation théâtrale en ressort magnifiquement.
Côté vocal, Créuse a sans doute une émission moins claire et compréhensible que Cassandre (mais varie très bien son timbre quand elle réapparaît morte), Hécube présente une voix très hétéroclite entre tête et poitrine et Vénus est un peu sèche, mais chacune apporte sa touche à une palette qui se doit d'être variée. Anna Bonitatibus impose une Didon convaincante après une entrée un peu poissarde. Krešimir Špicer n'a besoin de même que du temps de se chauffer pour perdre toute verdeur de timbre. Iarba pourrait avoir une grande voix de castrat, mais a les moyens d'un contre-ténor actuel. Terry Wey est charmant, Nicolas Rivenq est d'une noblesse inusable, Francisco Javier Borda est une belle basse, Valerio Contaldo un superbe ténor au timbre souple et équilibré. Mathias Vidal, étonnamment perdu de vue depuis sa sortie du conservatoire alors qu'il fait une magnifique carrière provinciale et internationale, est d'un impact incroyable, avec une émission claire et percutante qui reste cependant en-deça de toute dureté, de tout forçage. Une merveille d'efficacité vocale et une tonicité scénique qui va de pair !
À voir jusqu'au 20 avril au Théâtre des Champs-Élysées.
Alain Zürcher