Pelléas et Mélisande
Opéra Comique • Paris • 17/02/2014
Choeur accentus
Orchestre des Champs-Élysées Louis Langrée (dm) Stéphane Braunschweig (ms,sc) Thibault Vancraenenbroeck (c) Marion Hewlett (l) |
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Sous la baguette de Louis Langrée, l'Opéra Comique reprend la production dirigée par Gardiner en juin 2010. L'orchestre a changé mais joue lui aussi sur cordes en boyaux. Contrairement à Gardiner, le chef ne répond pas clairement, dans le programme de salle, à la question de la version utilisée. Étrangement, comme en 2010, on est perturbé par les attaques peu précises des bois au début de l'oeuvre, puis cela s'estompe, jusqu'à ce que quelques cors nous rappellent les instruments naturels. Si la direction de Louis Langrée convainc, le niveau technique de l'exécution instrumentale déçoit. La palette des couleurs et des intensités semble aussi étonnamment étroite. Les tempi choisis paraissent d'autant plus lents que le son de l'orchestre est peu nourri et tenu. La continuité de l'oeuvre souffre des coupures un peu longues entre les actes, faisant regretter que Debussy n'ait pas composé des interludes supplémentaires !
Sur scène, on est heureusement autrement conquis, d'abord par les images très simples de la scénographie de Stéphane Braunschweig, ensuite par la distribution vocale.
Plusieurs types d'espaces alternent : la scène d'ouverture et quelques autres moments forts sont joués devant le rideau fermé ; le plateau nu, meublé de manière minimaliste, accueille la lecture de la lettre (avec un bureau) ou Golaud blessé (avec un lit d'hôpital) ; un petit plan incliné rond d'où émerge un phare est le lieu de jeu d'Yniold au début ; le même plan incliné agrandi occupe ensuite tout l'espace avec son grand phare ; enfin, la béance de ce phare disparu du même plan incliné fait place à la fontaine des aveugles ; sans phare, le plan incliné accueille le même lit, devenu celui de Mélisande au dernier acte. C'est aussi au pied de ce plan que cheminent Pelléas et Mélisande dans la grotte. La scène des souterrains ouvre une trappe dans le plateau nu, où Golaud fait descendre Pelléas. Le décor donne donc une forte cohésion aux scènes et offre déjà un niveau d'interprétation.
Les scènes "solaires" sont bien rendues au pied du grand phare, qui nocturne accueille aussi la scène entre Golaud et Yniold, réellement hissé jusqu'à la fenêtre de "petite mère". La scène de la tour se joue comme un jeu au pied du petit phare, Pelléas loin de se tendre vers le haut y est allongé devant Mélisande assise, et ses doigts sont ensuite les branches où les cheveux de Mélisande se sont pris. Si l'ensemble de cette scène n'est pas joué de manière réaliste, c'est par contraste la réalité du "donne-moi ta main" qui frappe, faisant réaliser que Mélisande a effectivement jusque là refusé sa main à Pelléas. Et l'on réalise que cette main symbolique parcourt l'oeuvre ! - comme bien sûr les cheveux de Mélisande. Les longs cheveux de Karen Vourc'h permettent une très belle image pré-raphaélite de Pelléas avec ces cheveux réellement "noués autour de son cou". Et Stéphane Braunschweig offre au couple son premier enlacement, alors qu'à l'acte IV c'est à Golaud seul qu'il fera rapprocher leurs bouches !
Lors du rendez-vous de Pelléas et Mélisande à l'acte IV, la fermeture des portes est efficacement figurée par la descente d'un rideau au fond de la scène, qui devient noir tandis que le plan incliné devient plus bizarrement vert. Cette même couleur baigne tout l'acte final, le moins réussi visuellement et dramatiquement : le petit plateau de l'Opéra Comique paraît en effet bien encombré pour cet acte que sa musique introduit au contraire si désolé, si dépouillé. On ne voit certes jamais autant de monde sur scène que pendant cet acte, et son mobilier même minimal paraît encombrant. Après le lit d'hôpital et la perfusion, on nous livre aussi une couveuse en plastique pour la "pauvre petite" fille de Mélisande, comme à Vienne en 2004 ! Les déplacements des personnages ne pourraient-ils au moins être réduits?
Autre détail sans doute purement technique, il est vraiment dommage que la lune parfois projetée sur la toile de fond bouge continuellement avec elle !
La direction d'acteurs de Stéphane Braunschweig est formidable. Il réussit la quadrature du cercle de rendre l'action et les répliques naturelles tout en préservant le mystère et le symbolisme de l'oeuvre, sans donc le transformer en drame bourgeois comme par exemple Jean-Louis Martinoty en 2007. Tous les gestes et regards sont travaillés avec une grande finesse, en particulier dans les premiers actes. L'attitude adolescente de Pelléas se détournant, assis genoux pliés ramenés vers lui, avant son "C'est au bord d'une fontaine aussi qu'il vous a trouvée?" de l'acte II scène 1 est géniale ! Bonne idée du bras en écharpe complètement bandé de Golaud à la scène 2, ou de Mélisande prenant sa place dans le lit. Dans cette scène, le jeu de Mélisande et Golaud traduit bien l'incompréhension inscrite dans leurs répliques ("Ce n'est pas cela !), mais une incompréhension simple, humaine, pas celle d'une Mélisande éternellement distante et mystérieuse.
Quand il est si facile de tourner en ridicule le livret ou du moins de le faire paraître emprunté, Stéphane Braunschweig met en effet en pleine lumière sa justesse. Il semble avoir réfléchi et fait travailler ses acteurs jusqu'à ce que chaque réplique sonne parfaitement juste, alors même que Pelléas n'est pas censé être un drame psychologique mais symboliste !
C'est la scène de la tour et la scène des souterrains que Stéphane Braunschweig enchaîne, faisant rester Golaud en scène, et non cette dernière avec la scène avec Yniold, enchaînement plus logique et porté par la musique. Dans les souterrains, Golaud lâche vraiment Pelléas, qui remonte par ses propres moyens !
Yniold apparaît ensuite comme un vrai petit Pelléas, sur un plateau qui réunit son petit phare et le grand phare !
À l'acte IV, Mélisande est enceinte - effectivement, un heureux événement (sic) est attendu pour "l'année prochaine" ! La scène d'Absalon en est rendue d'autant plus cruelle. Mélisande la termine devant le rideau de scène baissé derrière elle, sur les accents si dramatiques de Debussy.
Stéphane Braunschweig est servi par une distribution francophone parfaite, où chacun a l'âge et le tempérament du rôle. Déjà présents en 2010, Phillip Addis et Karen Vourc'h sont un couple idéal. Superbe de corps et de voix, Karen Vourc'h chante simplement les phrases de son rôle, sans effets vaporeux stéréotypés. Si Karen Vourc'h a mûri, Phillip Addis semble être resté aussi juvénile. Vrai baryton, il assume d'une voix solide les aigus du rôle, avec une diction toujours percutante. Idéal joueur de tennis 1900, adolescent rêvé par Cocteau, il est vêtu de noir le jour, de blanc la nuit pour visiter la grotte, ou en pyjama blanc pour la scène de la tour. Le contraste est réussi avec le prosaïsme de Golaud interrompant cette scène ("Vous ne savez pas qu'il est tard" !). Laurent Alvaro est un nouveau Golaud qui traduit à merveille le côté fruste de son personnage, qui "ne sait pas ce que c'est que l'âme". Sa voix paraît d'abord voilée, rauque, mais ce n'est qu'une couleur qu'il donne à ses piani, et sa voix a toujours ensuite l'éclat qu'il faut quand il faut.
Jérôme Varnier était déjà Arkel en 2002 ici-même. Chose rare pour un Arkel, il chante juste et bien. Mais le coup de génie de Stéphane Braunschweig est d'en faire un gâteux dès le départ, ce qui est en fait évident à la lecture de ses répliques, mais jamais mis en scène, tant est fort le cliché du vieux sage paternel. Pas trop déplacée ou surdimensionnée en Geneviève, qu'elle chante régulièrement, Sylvie Brunet nourrit avec son style de diva italienne un personnage de mamma adorant son petit Pelléas, qui lui tire des exclamations de ravissement chaque fois qu'elle le croise. Dima Bawab est un Yniold idéal dans sa version travestie, très crédible scéniquement aussi. Luc Bertin-Hugault est un impeccable médecin.
À voir jusqu'au 25 février à l'Opéra Comique.
Alain Zürcher