Le Domino noir
Opéra Comique • Paris • 26/03/2018
Choeur accentus
Chef de choeur Christophe Grapperon Orchestre Philharmonique de Radio France Patrick Davin (dm) Valérie Lesort, Christian Hecq (ms) Glyslein Lefever (chg) Laurent Peduzzi (d) Vanessa Sannino (c) Christian Pinaud (l) |
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Ce Domino noir est une merveille ! Neuf ans après un très beau Fra Diavolo et six ans après une moins convaincante Muette de Portici, l'Opéra Comique poursuit sa redécouverte d'Auber, prolifique compositeur adulé à son époque.
Si Rossini (1792-1868) est son cadet de dix ans, il avait cependant en 1837 déjà composé tous ses ouvrages scéniques. On retrouve chez Auber sa verve et son abattage. On trouve aussi le vaudeville de Feydeau, mais ce dernier ne naîtra qu'en 1862, et même Labiche n'avait encore écrit en 1837 que sa toute première pièce ! Auber dirigera le Conservatoire de 1842 à sa mort, entre Cherubini et Ambroise Thomas ! Avec la coproduction de ce spectacle par les opéras de Wallonie et de Lausanne, on peut espérer le retour d'Auber au répertoire dans toute la francophonie.
Cette production est d'une cohérence exemplaire à tous les niveaux. Un excellent travail d'ensemble a en outre été réalisé entre tous les protagonistes de cette réussite. Les chanteurs jouent leurs scènes parlées d'une manière plus convaincante que jamais vu sur une scène d'opéra, des comédiens chantent, des chanteurs et des choristes dansent ! Les metteurs en scène respectent l'oeuvre et la musique, le chef d'orchestre comme le décorateur soutiennent et valorisent la mise en scène, bref tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes ! Tout a été pensé pour aller dans le sens de l'efficacité théâtrale, en sublimant donc ce qui fait déjà le génie d'Auber.
Plus heureux qu'avec l'orchestre de la Monnaie dans La Muette, Patrick Davin emporte l'Orchestre Philharmonique de Radio France dans un flux ininterrompu, avec un rythme, une gestion du temps et des affects toujours justes. Dans les décors de Laurent Peduzzi, on retrouve les objets qui s'animaient déjà dans Fra Diavolo, et un nouveau papier peint ! Vanessa Sannino a créé des costumes variés et désopilants, eux aussi animés par les metteurs en scène : costumes de bal masqué représentant chaque caractère et déployant les épines d'un porc-épic ou la roue d'un paon, ondulantes cornettes des nonnes... Plutôt que d'offrir des numéros isolés, la chorégraphe Glyslein Lefever semble fluidifier le mouvement de toute la troupe.
Contrairement aux productions précédentes d'Auber, la distribution réunie est francophone et les surtitres sont superflus, sauf dans les ensembles. Les solistes sont tous vocalement et scéniquement excellents. Seuls certains petits rôles, théâtralement très bien campés, sont vocalement plus faibles, mais pas plus que traditionnellement les chanteurs de caractère. Omniprésente, Anne-Catherine Gillet reprend avec une classe folle le rôle créé par Laure Cinti-Damoreau, créatrice également d'Elvire dans La Muette ! Cyrille Dubois rayonne au firmament des ténors lyriques légers, dans un rôle quasi serio. Son double et opposé François Rougier s'en distingue très bien, avec tout l'abattage du noceur. Tous les petits rôles sont poussés à bout, caricaturés d'une manière fort efficace mais toujours au service de l'oeuvre, même si on reconnaît bien sûr ici ou là, comme naguère le style Deschiens, la géniale gestuelle si particulière de Christian Hecq sur la scène de la Comédie Française.
Et en plus c'est beau ! Les lumières superbes de Christian Pinaud magnifient les trois décors des trois actes, à la fois esthétiques et fonctionnels. Une succession de gags et de clins d'oeil émaille la soirée sans jamais couvrir le propos de l'oeuvre. Tout est réglé comme du papier à musique, au service d'un livret d'une incroyable qualité - ou qui du moins le paraît quand il est ainsi servi ! Un coup de maître pour la première mise en scène lyrique de Valérie Lesort et Christian Hecq, dont on espère une captation vidéo !
À voir jusqu'au 5 avril à l'Opéra Comique puis à Lausanne en janvier 2021. à écouter sur France Musique le 15 avril 2018 à 20h.
Alain Zürcher