Königskinder
Nationaltheater • Munich • 12/11/2005
Orchestre d'État de Bavière
Choeur de l'Opéra d'État de Bavière Chef de choeur : Andrés Máspero Fabio Luisi (dm) Andreas Homoki (ms) Wolfgang Gussmann (dc) Franck Evin (l) |
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Königskinder est un merveilleux opéra autant qu'un opéra merveilleux, opéra de conte (Märchenoper). à la lecture du résumé du livret dans le Kobbé, on est atterré par son absurde niaiserie. Puis surprise, cette trame de conte se révèle juste et profonde, de plus en plus profonde au fil des actes. Et la musique d'Humperdinck, légère au premier acte, devient de plus en plus dramatique et complexe pour traduire ce livret.
Fabio Luisi rend justice à tous les aspects de cette partition et Andreas Homoki en signe une mise en scène exemplaire dans les décors et costumes beaux et adéquats de Wolfgang Gussmann. Bref, comme pour Le Nez de Chostakovitch à Lausanne puis à Nantes, on a affaire à une oeuvre rare qui a motivé, inspiré et soudé une équipe pour aboutir à une magnifique réussite.
Si Robert Gambill a l'air gentiment naïf de son rôle et si on apprécie les mimiques pincées de Dagmar Peckova en sorcière-secrétaire de direction, la silhouette longiligne et souple de Roman Trekel restera durablement associée au personnage du violoneux, et Annette Dasch (comtesse discutable de René Jacobs en 2004) est quant à elle une gardeuse d'oies d'une perfection insurpassable. Tous ont mené un remarquable travail d'acteurs, traduisant la fraîcheur et la jeunesse du premier acte comme la vieillesse et le désespoir du dernier.
Toute la mise en scène d'Andreas Homoki est construite autour du décor simple et ingénieux de Wolfgang Gussmann : une armoire placée au centre du plateau; autour, le dessin enfantin d'une forêt, suspendu aux cintres cimes vers le bas. Au premier acte, on verra la gardeuse d'oies dessiner. Le contour des arbres est découpé, ce qui permet d'incliner vers l'extérieur, jusqu'à l'aplatir sur le plateau, la découpe complémentaire du ciel. C'est ainsi que la gardeuse d'oies peut s'enfuir quand le violoneux rompt le sort qui l'attache à la sorcière. Les arbres peuvent aussi monter dans les cintres et le même décor représenter le village. à l'arrivée annoncée du roi, tous les habitants font cercle sur les trois côtés du fond du plateau et regardent vers l'extérieur, tandis que la gardeuse d'oies fait son entrée par l'armoire. Au cours du premier acte, la sorcière et la gardeuse d'oies entrent et sortent de cette armoire qui figure la cabane de la sorcière. Les oies sont en bois découpé, peuvent être posées et déplacées sur le plateau... et "stockées" dans l'armoire !
Très fraîche et juvénile au premier acte dans sa robe légère, Annette Dasch est très séduisante. Sachant être primesautière, elle trouve aussi une tendresse et une mélancolie magnifiques pour chanter son air "Vater, Mutter".
Le caractère "conte de fées" est très bien traduit par le jeu des acteurs. Le violoneux joue les marionnettistes qui fait entrer et sortir les personnages... ou fait mine de le faire, car lui-même aura peu de prise sur la sordide réalité sociale du village. Le prince apparaît en salopette vert tendre, tenant une épée de bois. L'orchestre est merveilleusement léger, caressant et doux.
Robert Gambill serait baryton en France, il est ici heldentenor et chante Siegmund, Parsifal, Idomeneo et Tannhäuser au cours de la saison ! Sa voix est encore fraîche, mais il reproduit quand même déjà le modèle allemand de l'émission langue reculée, non pas aplatie mais soulevée assez près du palais, ce qui donne ce ton à la fois un peu engorgé et nasal, métallique et bouché.
Roman Trekel a une émission un peu cravatée, menton dans la poitrine, mais finalement efficace.
Daniel Lewis Williams a l'émission un peu lourde d'une basse "naturelle".
Ulrich Reß est un excellent ténor de caractère à la voix sonore et mordante, idéale pour le Mime qu'il chante ici-même au cours de la saison.
Le second acte se passe au village. Les villageois sont vêtus de toutes les nuances de rose, avec des touches d'orange. Toute une brochette d'archétypes est représentée, les enfants par exemple sont les uns BCBG, les autres punks... Certains villageois sont bien sûr en costume bavarois rose, d'autres en hôtesses de l'air roses, en footballeurs roses... Les scènes de foule sont très bien maîtrisées par Andreas Homoki. Les solistes aussi sont très bien typés par leurs costumes mais aussi vocalement. La fille de l'aubergiste semble de moeurs légères, voire tarifées. Pour une fois, le choeur joue et chante bien, y compris le choeur d'enfants certes pas toujours très juste dans son intervention centrale.
Humperdinck a su quitter les flons-flons du premier acte, qui apparaissent a posteriori comme de dérisoires et faussement rassurantes citations. Quand midi sonne, annonçant l'arrivée du futur roi de la ville selon la prédiction de la sorcière, c'est avec des sonorités très sombres, des percussions très graves ! Seuls les enfants reconnaissent la gardeuse d'oies et le prince comme leurs roi et reine, les autres habitants les chassent et battent le violoneux.
Plus encore qu'au Wozzeck de Berg, on pense au Peter Grimes de Britten, dont la mise en scène de Graham Vick à la Bastille en 2001 avait aussi forcé le trait de la critique sociale. A priori, on peut être intrigué ou choqué que la librettiste ait besoin de faire de ses héros des "enfants de roi" - la gardeuse d'oies elle-même étant une princesse à qui la sorcière a jeté un sort ! Mais si l'on considère ces qualités "royales" comme de simples qualités morales, le discours d'Elsa Bernstein-Porges et d'Engelbert Humperdinck devient beaucoup plus politiquement correct et intéressant !
Le troisième acte, déjà noir, a été encore noirci par Andreas Homoki, qui accentue l'âge et la décrépitude des personnages. Noirci ou plutôt blanchi, car c'est l'hiver et les cheveux des héros ont blanchi... comme leurs vêtements ! Admirable numéros d'acteurs pour traduire la vieillesse mais aussi l'amour et la tendresse avec une justesse très touchante, sans cliché. L'idée de faire entrer la gardeuse poussée dans un fauteuil roulant par le prince devient géniale quand ils échangent leurs rôles, la gardeuse poussant à son tour le prince quand ils sortent. Musicalement, Humperdinck surprend encore avec un long prélude désolé, pendant lequel Homoki fait tomber des feuilles blanches des cintres sur le plateau. Le rideau est ensuite fermé, Homoki ayant traité ce prélude plutôt comme un interlude séparant les deux actes sans entracte. Quand il se rouvre, l'armoire est renversée et les feuilles froissées. Le violoneux resté sur le plateau après avoir été battu par les villageois est désormais vêtu non plus de bleu mais de noir. Il froisse les quelques feuilles qui tombent encore.
Annette Dasch chante toujours très bien et poitrine bien. Elle réussit à transformer étonnamment sa voix, la faisant sonner en ce dernier acte aussi mûre qu'elle était fraîche au premier.
Quand le prince et la princesse se retrouvent à nouveau seuls après le passage des villageois, Humperdinck écrit une très belle scène de couleur "wagnérienne" - avec plus de finesse peut-être ! Lui meurt puis elle, sans cris ni larmes dont ils n'ont plus la force. Quel repos par rapport à la n-ième reprise d'un mélo puccinien, quel bonheur par rapport à une production wagnérienne pour laquelle on n'a plus de chanteurs à la hauteur ! L'adéquation est ici parfaite entre une oeuvre passionnante, des chanteurs très bien choisis et investis dans leurs rôles, un chef d'orchestre traduisant la richesse de la partition et un metteur en scène respectueux, intelligent et inventif.
Roman Trekel chante un très beau dernier air, sorte d'équivalent des adieux de Wotan, et tire lui-même le rideau de scène. Ce rideau s'ouvre une dernière fois pour un beau tableau final : la jeune enfant du village dessine devant l'armoire comme jadis la gardeuse d'oies. Le "blanc" du décor (le ciel) est redressé mais les arbres ne sont pas redescendus, ce qui crée un décor noir-et-blanc en creux. Simple, ingénieux et bouleversant !
Alain Zürcher