Le Balcon
Théâtre de l'Athénée • Paris • 20/05/2014
Maxime Pascal (dm)
Florent Derex (projection sonore) Damien Bigourdan (ms) Mathieu Crescence (sc) Pascale Lavandier (c) Jérémie Gaston-Raoul (l) |
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Le Balcon se devait d'interpréter l'oeuvre éponyme de Peter Eötvös, tiré de la pièce de Jean Genet qui a inspiré le nom de cet ensemble. Créé au Festival d'Aix-en-Provence en 2002, Le Balcon n'avait pas satisfait Peter Eötvös, qui l'avait révisé pour le Grand théâtre de Bordeaux en 2009. Si ces deux productions, que l'on peut apercevoir sur YouTube, recherchaient la beauté par le jeu des lumières, des couleurs et des espaces vides, celle de l'Athénée, coproduite avec l'Opéra de Lille, est plus crue. Elle nous confronte plus directement au théâtre de Jean Genet et rappelle plutôt le fascinant Cachafaz d'Oscar Strasnoy à l'Opéra Comique en 2010.
Les scènes sado-maso sont jouées, en costumes ad hoc, de manière assez directe et dérangeante, dans des éclairages rouges et sombres. Le jeu de Genet entre travestissement et réalité, jeu de rôle et rôle social, pouvoir fantasmé et impuissance réelle est mis clairement en lumière. Trouvaille osée mais efficace, les trois "simulacres" portent par devant les lourds costumes de leurs modèles (juge, évêque, général) mais font voir leurs fesses par derrière. Après l'entracte, la scène du cadavre est désopilante.
Les chanteurs choisis caractérisent leurs personnages de manière très engagée et efficace. Les regards et les poses sont un complément aussi riche que la musique et le texte. Difficile par exemple d'imaginer un autre juge après avoir vu Olivier Coiffet, ou un envoyé de la cour qui fait mouche comme Benjamin Locher, expressif de visage et de maquillage, que son rôle fait passer du parlé au chanté, du mécanisme lourd au mécanisme léger. Vincent Vantyghem a également, en Général, un jeu et des mimiques très expressifs. Élise Chauvin impose une présence autant qu'une voix. Jean-Claude Sarragosse est désopilant par ses répliques pince sans rire émises sur un ton grave - renforcé par l'amplification? Shigeko Hata, très appréciée lors de sa sortie du CNSM en 2005, est un peu en retrait, du fait d'une émission un peu trop "lyrique" (au sens négatif utilisé par ceux qui n'aiment pas l'opéra), qui nuit à la compréhension de son texte. Rodrigo Ferreira est magistral en Madame Irma travestie, tout en reprenant étonnamment de nombreuses intonations de la contralto Hilary Summers à Aix, qu'il a peut-être écoutée.
En résidence à l'Athénée pour trois ans, Le Balcon s'attaque avec une aisance et une capacité de travail aussi stupéfiantes à des oeuvres contemporaines ou classiques. Il a ainsi déjà donné avec succès Ariane à Naxos de Richard Strauss en mai 2013, Pierrot lunaire de Schoenberg en septembre 2013 et Paroles et musique de Feldman et enfin Le Viol de Lucrèce de Britten en février de cette année.
L'orchestre est dirigé par son fondateur Maxime Pascal, vainqueur en mars dernier à vingt-huit ans du Concours des jeunes chefs d'orchestre de Salzbourg. Toujours aussi intensément présent, il fond instrumentistes et chanteurs dans un étonnant son d'ensemble, encore filtré par l'amplification électronique. Cette amplification, revendiquée par l'ensemble, est cependant sa seule faiblesse : le son résultant est toujours moins clair de timbre, moins riche de spectre harmonique et moins justement localisé. Il est plus compact et fatigant, comme toute écoute de musique amplifiée.
Comme récemment à la Péniche Opéra, le rideau du fond de scène est dessiné pendant la première partie du spectacle. On a déjà vu ailleurs ces dessins géométriques, mais où? La scénographie paraît d'abord un peu lourde et contraignante, avec sa passerelle au-dessus de la fosse, l'écran au bout de cette passerelle qui masque ce qui se passe sur la scène... mais ces accessoires disparaissent ensuite, pour laisser place à un jeu plus libre sur un plateau plus nu. Une belle lecture d'un des nouveaux classiques de l'opéra.
À voir jusqu'au 24 mai 2014 au Théâtre de l'Athénée.
Alain Zürcher