Mam'zelle Nitouche
Théâtre Marigny • Paris • 07/06/2019
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Après une tournée dans rien moins que sept opéras régionaux, la production du Palazzetto Bru Zane arrive enfin à Paris. Le théâtre Marigny de Jean-Luc Choplin lui offre un écrin idéal : prestigieux par son emplacement, superbe depuis sa rénovation, clair et sonore pour les voix, qui passent facilement l'orchestre puisque sa fosse est enterrée sous la scène comme à Bayreuth ! (Il ne reste plus qu'à y monter la désopilante opérette Tristoeil et Brunhouille de Georges Van Parys !)
Grâce au Palazzetto Bru Zane, la redécouverte d'Hervé s'accélère ! Cette année, on a déjà pu voir au Studio Marigny Le Retour d'Ulysse en mars et Le Compositeur toqué en janvier. En 2017, Les Chevaliers de la Table Ronde s'invitaient à l'Athénée, interprétés par une bonne partie de l'équipe de ce soir. Et en 2014, longtemps après L'oeil crevé et le Caf' Conc' Hervé présentés à la Péniche Opéra de Mireille Larroche, ce n'était pas encore le Palazzetto mais déjà l'Orchestre des Frivolités Parisiennes que dirigeait Julien Leroy dans Le petit Faust au théâtre Déjazet, qui n'est autre que celui fondé par Hervé sous le nom de Folies-Concertantes !
Mam'zelle Nitouche est d'autant plus importante qu'elle a constitué un des plus grands succès d'Hervé - et le dernier -, et que son livret s'inspire de sa vie ! Comme Célestin/Floridor, Louis-Auguste-Florimond Ronger était organiste le jour et compositeur léger la nuit. Et bien plus, puisqu'il jouait et chantait dans ses propres pièces comme dans celles d'Offenbach, dirigeait des orchestres... et détournait occasionnellement une mineure que l'on suppose aussi consentante que Denise de Flavigny, mais qui gâta sa carrière en lui faisant passer un an en prison.
C'est aussi une de ses oeuvres les plus structurées, construite sur un livret d'excellente facture. On y trouve peu d'excentricités, et une musique simplement efficace, dont Hervé écrit tout de même le refrain le plus entêtant sur les paroles absurdes qu'il affectionne :
Cric ! Crac ! Cuillère à pots !
Bidon su' l' sac ! Et l' sac su' l' dos !
Redon, Loustalot, suivez l' gross' caiss' qui n'est pas manchot ! Chaud !
Après la mise en scène de Manon par Olivier Py à l'Opéra Comique le mois dernier, on retrouve son univers puisque la scénographie mais aussi la mise en scène et les costumes sont assurés par son fidèle scénographe Pierre-André Weitz et que lui-même joue plusieurs rôles féminins et masculin. Mais si l'on retrouve les travestissements et les milieux interlopes chers à Olivier Py, Pierre-André Weitz apporte un côté bon enfant qu'il incarne d'ailleurs sur scène en intervenant sous le costume et le maquillage d'un gentil clown un peu gauche. Après avoir créé pour Les Chevaliers de la Table Ronde un fascinant univers noir-et-blanc, il poursuit ici sa recherche de décors structurants et signifiants - adjectifs inutilement pompeux puisque ses décors sont surtout efficaces, toniques et amusants ! C'est ici un plateau tournant qui nous présente alternativement l'église du couvent des Hirondelles, le théâtre de Pontarcy, la caserne des Dragons ou un coin de rue chaude. Les décors eux-mêmes sont réalisés dans un style "carton-pâte" presque d'époque, et les costumes sont tout aussi archétypaux. Cette tournette s'emballe à la fin dans une éblouissante pantomime dansée, qui fait écho à celle plus retenue jouée pendant l'ouverture.
Les danseurs sont en fait les chanteurs solistes, qui sont aussi les choristes ! Les nonnes sont aussi les soldats et aussi les filles légères - dont elles gardent bien sûr les dessous sous leurs robes monacales. Le travestissement, qui dans la pièce ne sert qu'à Célestin et Denise pour se cacher du Major à la caserne, est ainsi de fait étendu aux trois actes de l'oeuvre. Ce parti-pris donne beaucoup d'énergie au spectacle, et n'a comme seul défaut que de produire des choeurs vocalement très hétéroclites, et de rapprocher cette oeuvre des pochades bouffe de moindre envergure de son compositeur.
La distribution, déjà parfaitement rodée à l'issue de sa tournée, est exceptionnelle, tant vocalement que scéniquement, ce qui est bien nécessaire pour un vaudeville-opérette ! À l'exception de Flannan Obé (qui chantait à Tours et Toulouse), on y retrouve les piliers de ce répertoire. Lara Neumann est comme toujours épatante en Denise/Nitouche. Comme Damien Bigourdan, qui donne une épaisseur à la fois burlesque et convaincante à son personnage, elle se joue avec souplesse des changements de caractère comme de timbre, alliant les registres à la perfection. C'est aussi stylistiquement que la partition les fait glisser tous deux des cantiques de Célestin aux refrains entraînants de Floridor. Lara Neumann s'offre également un Alleluia façon gospel lors de son "audition" par son prétendant. Autre clou de la soirée, l'apparition de Sainte-Nitouche, à qui elle chante une touchante Invocation :
Sainte-Nitouche, ô ma patronne,
Ah ! Sauve-moi, chère madone !
Et je te promets qu'avant peu
Je deviendrai sage… s'il plaît à Dieu !
Samy Camps, déjà présent comme les deux autres dans Les Chevaliers de la Table Ronde, est un jeune premier convaincant. Il est juste dommage qu'il parle mais ne chante pas avec une voix de vieux quand il joue l'inspecteur. Olivier Py est le caméléon que l'on sait, jouant d'une voix grave l'autorité "paternaliste" de la mère supérieure avant de minauder en coquette défraîchie se prenant pour Carmen ou Dalila, ou de jouer avec une fraîcheur désarmante un soldat un peu naïf. Si sa voix parlée est d'une efficacité et d'une virtuosité fascinantes, il interprète tout ausssi idiomatiquement la chanson de ce dernier et son refrain édifiant :
Moi, j'ai suivi comme un bêta,
Le goût de papa.
J'aurais mieux fait assurément
d'écouter maman !
À voir sans hésiter jusqu'au 15 juin 2019 au Théâtre Marigny.
Alain Zürcher